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maître, et la conduite du taïkoun actuel prouve qu’il ne faut attendre de lui ni équité ni bonne foi. Les choses en sont venues à ce point que les puissances étrangères considèrent le taïkoun comme le maître du Japon, et traitent l’empereur légitime comme un être sans force et sans influence. C’est au taïkoun que les barbares se sont adressés lorsqu’ils ont voulu conclure des traités avec le Japon ; le mikado n’a pas même été consulté, et son approbation, qui est indispensable pour introduire des réformes dans la constitution, n’a pas été sollicitée. Cependant ces traités sont en vigueur comme s’ils avaient une valeur légale. Le taïkoun a donc commis un crime de trahison contre la majesté de son maître et contre la sainteté de la constitution en vertu de laquelle il se trouve placé à la tête du pouvoir exécutif. On ne peut nier que la cour du taïkoun s’efforce de concentrer toute la puissance du Japon à Yédo. Là sont les armes et les navires étrangers, là, s’élèvent des écoles où l’on enseigne les arts et les sciences de l’Occident. Le commerce avec les barbares n’a lieu que dans les domaines du taïkoun ; les grands daïmios n’ont pas le droit de lui ouvrir leurs ports ; il n’enrichit que les sujets du taïkoun, et celui-ci en tire pour lui-même des bénéfices considérables. Le but que poursuit le gouvernement de Yédo n’est-il pas facile à prévoir ? Il s’arme, il se prépare à subjuguer tous ceux qui voudront un jour se soustraire à son autorité. Au temps de Hieas, les dix-huit grands daïmios réunis ont pu opposer une résistance formidable ; mais alors les armées des princes n’avaient vis-à-vis celle de Hieas qu’une infériorité, celle du nombre. Aujourd’hui les chances ne sont plus aussi égales : les bateaux à vapeur du taïkoun, les armes à feu qu’il a achetées ou qu’il a fait fabriquer d’après les modèles étrangers, la connaissance d’un art tout nouveau de faire la guerre, lui donnent une supériorité dangereuse sur les autres princes japonais. Ceux-ci, pour éviter d’être attaqués isolément, doivent se réunir au plus tôt, et entraver par leur alliance la politique tortueuse du taïkoun. Le mikado est prêt à donner à la bonne cause l’appui de son nom ; mais, pour qu’il le fasse, il est nécessaire qu’une requête officielle lui soit adressée. Il n’est pas douteux qu’il ne l’accueille favorablement, et qu’il ne rétablisse l’union de la vieille noblesse avec l’empereur légitime. De cette union, qu’il a toujours ardemment désirée, naîtra le retour à l’antique et vénérable état de choses. »


Les daïmios, que la puissance sans cesse croissante du taïkoun tenait depuis longtemps en jalousie et en défiance, écoutèrent favorablement les paroles des agens du mikado. Plusieurs d’entre eux, et à leur tête Kanga, Satzouma, Schendei et Kforoda, se liguèrent et se rendirent en corps à Kioto, où ils arrivèrent le 26 mai 1862. Ils déposèrent publiquement une plainte contre le taïkoun, serviteur infidèle de l’empereur légitime, l’accusèrent d’avoir violé les lois de Gongensama et supplièrent le mikado d’instruire l’affaire, et, le cas échéant, de punir le coupable. Le mikado, qui s’attendait à recevoir cette plainte des principaux daïmios, dépêcha aussitôt un de ses officiers, qui arriva à Yédo le 12 juin 1862, porteur d’une lettre