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christianisme et de l’église. Il serait peu digne de notre esprit philosophique et libéral de ne pas même connaître les tendances et les doctrines de cette école. Et comment les connaître, si on ne les expose pas en toute liberté ?

La grande ambition de cette école a été de ramener l’histoire originelle du christianisme aux lois essentielles de l’esprit humain. C’est déjà laisser à entendre qu’elle se place en dehors ou, pour mieux dire, au-dessus de la vieille opposition du naturel et du surnaturel. Le miracle, à ses yeux, est tout le contraire d’une explication, et rien ne serait plus illogique à ce point de vie que de la sommer de revenir sur le terrain qu’elle a dépassé en lui prouvant qu’elle a échoué çà et là dans la réalisation de son programme. Il en résulterait tout simplement pour elle que les points en litige ne sont pas encore résolus, qu’ils sont peut-être insolubles faute de renseignemens suffisans ; mais rien de plus. On aurait bien tort d’ailleurs de s’imaginer que ses recherches sont dirigées dans une arrière-pensée hostile au christianisme et à l’église. Pour elle, le christianisme est divin, une religion définitive et vraie dans son essence, mais, pour elle aussi, le divin se révèle précisément dans l’ordre intelligible, rationnel, des événemens et des principes. C’est donc dans un esprit religieux qu’elle élimine le surnaturel de ses explications, et en essayant de montrer à quels résultats ont abouti de si hardies tentatives, nous croyons n’avoir rien à dire dont les convictions chrétiennes les plus sévères aient le droit de se sentir blessées.


I

À la fin de l’année 1860, la petite ville wurtembergoise de Tubingue voyait mourir un homme dont le nom restera grand dans l’histoire de la pensée religieuse. Le professeur Ferdinand Christian Baur avait été frappé, au milieu des laborieuses études qui absorbaient sa robuste vieillesse, de l’un de ces coups foudroyans que notre pauvre organisme réserve trop souvent à ceux qui l’ont condamné au labeur intellectuel à perpétuité. C’était un noble et beau vieillard, plein de dignité, de l’abord le plus cordial, le dernier représentant de ce grand mouvement de critique religieuse, déjà inauguré en Allemagne au siècle dernier, un moment interrompu par les guerres de la révolution et de l’empire, qui reprit avec une intensité redoublée lorsque la paix fut rendue à l’Europe, et qui compte aujourd’hui parmi les grandes puissances de la seconde moitié du XIXe siècle, car on s’en ressent un peu partout, qu’on le connaisse ou qu’on l’ignore, qu’on l’aime ou qu’on le déteste. Peut-être doit-on assigner à Baur l’honneur d’en avoir dit le