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indétermination dogmatique, qui, bien loin d’être une cause de faiblesse, est plutôt un gage d’avenir et dans laquelle se complaît le sentiment religieux qui, aimant l’infini, se trouve tôt ou tard mal à l’aise dans des cadres trop nettement dessinés. Que de théologies, que de doctrines, que d’églises différentes pourront se combattre, se succéder, naître et disparaître en laissant intacte cette moelle du christianisme ! Cependant, au point de vue pratique, d’innombrables conséquences découlent immédiatement de ces admirables principes. Il est clair que le Samaritain hérétique, secourant l’inconnu qu’il rencontre blessé sur un chemin dangereux, est bien plus agréable à Dieu que le sacrificateur orthodoxe qui, ne pensant qu’à sa propre sûreté, a passé outre sans s’arrêter. Il est visible que la miséricorde est préférable au sacrifice, que la prière courte et solitaire vaut mieux que les longues redites prononcées avec ostentation, que la Madeleine qui pleure est bien supérieure à l’orgueilleux et sec pharisien, que l’obole de la pauvre veuve vaut infiniment plus que les splendides offrandes des riches… Nous nous arrêtons, il faudrait rappeler ici les uns après les autres tous les enseignemens évangéliques. C’est toujours l’opposition de l’intérieur à l’extérieur, de ce qui est à ce qui paraît, du sentiment pur à la forme matérielle, de l’esprit à la lettre, et la constante supériorité du premier des deux termes.

Jésus parcourait son pays à la manière d’un ancien prophète et répandait, chemin faisant, ces précieuses vérités sous des formes populaires, en particulier dans des paraboles empruntées aux plus simples phénomènes de la nature et de la vie sociale. Il se comparait volontiers lui-même à un semeur qui, tout en sachant bien qu’une partie notable de la semence est perdue, n’en sème pas moins à droite et à gauche, confiant dans la bonté du grain et dans la fertilité naturelle du sol. Cette image est admirablement appropriée à sa méthode et à l’idée qu’il se faisait lui-même de son œuvre. Il avait bien la conscience de déposer, en prêchant ainsi, dans les vieilles outres du judaïsme, un vin nouveau qui les ferait éclater quelque jour en mille pièces. Cependant il ne rompait pas lui-même et ne faisait pas rompre ses disciples avec les formes vénérables de la piété nationale. Il y avait, dans ses espérances fondées sur la force intrinsèque de la vérité, dans ses sentimens sur le peu d’importance des cérémonies et des rites, dans ses intuitions de l’avenir inspirées par une invincible foi dans le triomphe du bien, une assurance que nous serions tout près d’appeler de la candeur, si ce mot ne supposait pas une certaine ignorance des hommes, ou plutôt si les candeurs de ce genre-là ne dépassaient pas toutes nos habiletés de mille milliers de coudées. Quelles étaient au juste ses prévisions sur l’avenir de son peuple ? Il semble qu’il eût désiré qu’abandonnant