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adversaire des chrétiens du IIe siècle, Celse, dirige contre eux une attaque en règle, qui n’a peut-être pas été dépassée en habileté, respirant une passion violente, une colère acharnée contre cette peste religieuse qui infeste le monde. Quelques années se passent, et voici qu’un autre écrivain fort distingué de l’époque, Lucien, se met à railler l’enthousiasme chrétien et à décocher contre la jeune église les traits les plus acérés de son mordant esprit. Si ce n’est déjà plus la haine colossale de Celse, c’est encore moins l’aristocratique dédain d’un Tacite. On ne raille avec une verve aussi persévérante que les choses dont on reconnaît la puissance.

Il y a mieux encore. Dans le premier tiers du IIIe siècle, le païen Philostrate forme le projet de neutraliser le prestige du christianisme en opposant au Christ des Évangiles un Christ païen, Apollonius de Tyane. Son livre est donc une démonstration continue de l’ascendant que le christianisme acquérait de plus en plus sur les esprits mêmes qui lui étaient hostiles. La société romaine se sent attaquée au cœur, et au fond elle n’a pas tort, car c’est bien un monde nouveau que l’église tend à substituer à l’ancien. Voilà ce qui nous explique pourquoi les meilleurs empereurs, un Antonin, un Marc-Aurèle, sont plus mal disposés à son égard que tel monstre ou tel imbécile qui les précède ou leur succède. C’est aussi pourquoi, à partir de Septime-Sévère (193), la politique impériale n’est plus aussi dure contre les chrétiens. L’empire en effet, pendant une assez longue période, est gouverné par des non-Romains. Un vaste syncrétisme religieux, favorisé par des empereurs orientaux tels que Caracalla, Héliogabale, Alexandre-Sévère, élaboré scientifiquement par le néo-platonisme, associe le Christ, en tant qu’hiérophante, à Pythagore, Apollonius, Orphée. Désormais les écrivains les plus opposés au christianisme, un Porphyre et un Hiéroclès eux-mêmes, s’attaqueront moins au principe chrétien qu’aux traditions ecclésiastiques et respecteront en général la personne elle-même de Jésus. Dans la période dont nous parlons, on ne peut guère citer, en fait de persécution notable, que celle de Maximin le Thrace, et le nombre des chrétiens augmente à vue d’œil.

Bientôt cependant, avec le règne de Décius, le vieil esprit romain se réveille ; il a vu qu’il lui faut vaincre ou mourir. Ce qui est caractéristique, c’est que maintenant la persécution n’est plus, comme autrefois, arrachée tumultueusement par le vœu des populations païennes aux indécisions des proconsuls : elle est devenue le fait des politiques, des hauts conseillers, des magistrats supérieurs de l’empire. Jusqu’alors, si nous en croyons Origène, le nombre des condamnés à mort pour cause de religion avait été comparativement restreint. À présent c’est l’époque des grands martyres, des exécutions et des