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caractère. Grâce à Dieu, on à reculé devant cette profanation, et il faut espérer qu’on ne reprendra plus ce projet abandonné.


III

Spécialement affectée aux plaisirs de nos souverains, dont la chasse a toujours été une des passions favorites, la forêt de Fontainebleau a de tout temps été peuplée d’une grande quantité de gibier. Cerfs, daims, chevreuils, faisans, perdrix et lapins y abondent. Le manque d’eau en éloigne le sanglier ; quant au loup et au renard, on leur fait une guerre si acharnée qu’on en a extirpé jusqu’au dernier. Au premier abord, cette abondance de gibier ne paraît présenter aucun inconvénient, et, loin de s’en plaindre, le promeneur qui s’aventure le matin dans les profondeurs des massifs aime à surprendre de temps à autre un cerf entouré de trois ou quatre biches, broutant dans les clairières, et à le voir à son approche s’enfoncer dans le taillis, suivi de ses compagnes ; il ne lui déplaît pas de faire lever sous ses pas le lapin, que lui cachait une touffe de bruyère, et d’en suivre la course en zigzag jusqu’au terrier voisin. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, et qu’au lieu de s’en tenir au côté pittoresque on va au fond des choses, on ne tarde pas à se convaincre du mal que fait à la forêt cette multitude d’animaux qui vivent à ses dépens. Essayons d’en donner une idée. Au dire des gardes les plus habiles, elle ne renfermait, il y a quelques années, pas moins de deux mille cerfs et biches de tout âge. Ces deux mille animaux sont obligés d’y chercher leur nourriture, et comme ils n’y trouvent que fort peu d’herbe, c’est au bois qu’ils s’en prennent, et ils ne s’en font pas faute[1]. Ils ravagent périodiquement les plantations qu’on n’a pas pris le soin d’entreillager, et broutent les rejets de taillis au fur et à mesure qu’ils repoussent. On a calculé que, par le fait seul de ces abroutissemens et du retard qui en résulte dans la végétation, la production ligneuse annuelle se trouve diminuée de six mille stères, qui, à 10 fr. l’un, représenteraient une somme de 60,000 fr. Encore ce chiffre ne comprend-t-il pas les frais de repeuplement qu’il faudrait faire pour maintenir les massifs à l’état complet ; car, sous ces atteintes répétées, les souches s’épuisent rapidement, et dépérissent en laissant des vides au bout de quelques révolutions. Ce n’est pas seulement aux bois feuillus que s’attaquent les cerfs ; ils sont également très nuisibles aux pins, dont ils arrachent, pour aiguiser leurs dents, l’écorce en longues lanières, ou qu’ils blessent

  1. Dans les forêts ouvertes, ces animaux vont au gagnage dans la plaine ; mais alors il faut payer les dégâts qu’ils occasionnent aux cultures.