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où l’expulsion des Vaudois au XVIIe siècle par la maison de Savoie, leurs années d’exil et leur rentrée au pays natal, en 1689, devaient être célébrées tout au long ; mais, trente chants n’ayant point suffi au fils des Vaudois pour toutes ces péripéties, il s’est contenté d’achever la première partie, qui raconte « la guerre d’expulsion, » et de résumer le reste a dans un court épilogue. » Et voilà comment ce poème a été limité aux proportions dans lesquelles il paraît aujourd’hui ! L’auteur est venu prouver une fois de plus que ce n’est pas assez des intentions les plus honnêtes pour mériter le titre de poète. Assurément l’histoire des Vaudois est émouvante ; mais la moindre page de vérité nue ferait bien mieux notre affaire que les trente chants d’un poème dont le style confus et embarrassé n’est même pas toujours exempt de fautes de langue et de grammaire : témoin ce vers :


Pourquoi trembler l’hiver dans la saison des fleurs ?


Trembler est mis là pour craindre, appréhender. Et plus bas il est dit :


Les troupeaux que l’on garde en ces lointains parages
Hésitent d’avancer


Montons d’un degré au-dessus de ces rimeurs empêchés dans leurs propres pièges. M. Van Hasselt n’est pas un versificateur novice, et il nous présente solennellement des poèmes, des paraboles et des odes[1] qui ont l’ambition de régenter le monde par les vérités qu’ils révèlent. M. Van Hasselt embrasse dans un langage symbolique les destinées de l’humanité. C’est un penseur, que dis-je ? c’est un prophète ! Et malheur aux traînards qui signalent en lui des tendances mystiques ! Il les terrasse du regard, il repousse avec force ces « frelons jaloux, » ces « vils buissons » ou, si vous le préférez, ces « typhons » en révolte qui osent faire obstacle aux volontés du génie ! Malgré les Études rhythmiques dont le recueil termine le volume, et qui auraient dû introduire la variété dans l’œuvre de l’auteur, il gardé par-dessus tout le culte de l’alexandrin inflexible. En outre, ni dans l’Établissement des Chemins de fer, ni dans la Mission de l’Artiste, ni dans le But de l’Art, ni ailleurs on ne découvre trace d’originalité. Quelques vers élégans dans le Poème des Roses, quelques beaux vers dans les Quatre Incarnations du Christ, où l’on entend les voix du monde romain, quelques petites pièces d’un rhythme gracieux, voilà tout ce qu’on peut remarquer dans ce volume. Le Ruisseau dans les montagnes n’est qu’une fable de La Fontaine, la Rivière et le Torrent, déguisée en parabole. Dans le poème des Quatre Incarnations, l’auteur abuse des personnifications de la nature inanimée. Il est en cela de l’école de M. de Laprade, qui anime un peu trop volontiers les glaciers, les lacs, les sapins et les vieilles armures.

  1. Poèmes, Paraboles, Odes et Études rhythmiques, par M. Adrien Van Hasselt. — Paris, Goubaud, 1862.