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les pensées et les émotions d’autrui, et c’est une tendance qui date de peu d’années. À mesure que la sève nationale s’est retirée, on s’est de plus en plus rattaché aux productions du dehors, quand on ne copiait pas servilement les poètes français de quelque valeur, ou quand on ne s’avisait pas de suppléer à la poésie par les artifices d’un archaïsme infécond. La tâche du traducteur était et est restée utile ; mieux vaut, si l’on ne crée, populariser les créations d’autrui que s’user en redites vulgaires. Le bagage de M. Pittié, pris en bloc, est peu considérable ; il l’est moins encore, si on le réduit aux poésies purement personnelles. Pourtant nous en dirons quelques mots. Aujourd’hui la voix du poète est faible, mais elle est douce et pure, elle n’est pas celle du voisin : c’est quelque chose, en un temps d’effacement ou de grossières excentricités, qu’un accent distinct. Bien qu’il traduise les poètes du Nord, l’auteur n’est pas Allemand de langage. Il aime Brizeux et lui emprunte l’épigraphe de ce recueil ; comme lui, il chante une Marie qui lui tient lieu de muse. Voici quelques vers de M. Pittié :


Je sais un chemin creux où le lierre, qui grimpe,
Au col des grands tilleuls s’enlace en verte guimpe :
Réduit impénétrable au passant affairé,
Cadre fait tout exprès pour ton front adoré.
Comme un grand éventail qu’on remûrait à peine,
La brise parfumée y retient son haleine ;
La mésange au front noir, le merle et les pinsons,
De rameaux en rameaux, égrènent leurs chansons.


Il manque au poète novice plus de force et plus d’art, mais il donne la note juste. « Je suis moins un poète, je le sais, dit-il, qu’un homme ardemment et sincèrement, épris de tout ce qui est délicat et pur, grand et noble. » Cette réserve est de meilleur augure pour l’avenir poétique de l’auteur que l’orgueil anticipé de la plupart des rimeurs qui débutent. Qu’il se défie toutefois de l’attrait des vers faciles, qu’il se fortifie par l’étude des maîtres, et, plus jaloux de l’art que des chimères d’une imagination nuageuse, qu’il préfère le moindre sentier fleuri et connu de lui aux courses effrénées par monts et par vaux, entre ciel et terre, courses dont l’esprit se lasse, qui laissent le cœur froid, et sont de nul profit tant pour la recherche du beau que pour celle du vrai.

Somme toute, le trésor de la muse contemporaine est pauvre. Quelques heureux emprunts faits aux génies étrangers ne régénèrent en rien le principe même de notre poésie ; le retour vers les âges lointains est tout aussi indifférent à ses destinées futures. De fait, point de puissance nouvelle qui s’atteste par des œuvres. Où est l’accent profondément ému ? où est de nos jours l’âme de la poésie ? La critique attend la renaissance d’un art qui, après un éclat extraordinaire, ne donne plus signe de vie ; elle ne souhaite rien tant que, de pouvoir en présager le retour. Les chercheurs d’abîmes et de rimes sonores bataillent volontiers contre la critique, interprète en