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pas, dis-je, lorsque toutes les espérances de mon pays semblent péricliter que j’irai me rétracter et renier devant votre majesté une cause sacrée pour tout Polonais, et qui restera belle et juste, si même elle ne cesse d’être malheureuse… »

C’est ainsi que dans la scrupuleuse délicatesse d’une conscience loyale et sûre d’elle-même le prince Adam puisait le droit de ne désavouer aucun de ses sentimens, ni une ancienne amitié ni son patriotisme, mettant le patriotisme au-dessus de tout sans doute, mais n’ayant rien à renier. Et c’est ainsi en même temps qu’en présence des désastres qui grandissaient pour la Pologne comme pour la France, il pouvait seul peut-être se tourner vers Alexandre et lui écrire : « Les événemens de la guerre prenant une tournure qui semble décisive, je crains que personne ne veuille à présent plaider auprès de votre majesté les intérêts de ma patrie… Je ne saurais m’imaginer que votre majesté, après avoir voulu quand elle ne pouvait pas, ne veuille plus maintenant qu’elle peut tout ce qu’elle voudra. Ce sont des momens qui ne reviennent pas dans la vie… » Et en effet Alexandre lui répondait : « Les succès ne m’ont pas changé, ni dans mes idées sur votre patrie ni dans mes principes en général, et vous me trouverez toujours tel que vous m’avez connu… A mesure que les résultats militaires se développeront, vous verrez à quel point les intérêts de votre patrie me sont chers et combien je suis fidèle à mes anciennes idées ; quant aux formes, vous savez que les plus libérales sont celles que j’ai toujours préférées… » C’était du moins une dernière chance renaissant du désastre même, et pour faire arriver les idées d’Alexandre à maturité, pour leur ouvrir un jour, il avait fallu d’étranges événemens qui changeaient en courant la face du monde.

Qu’on songe en effet à cet amas d’événemens au bout desquels une bonne volonté d’Alexandre, longtemps indécise et vaine, peut apparaître comme une sauvegarde possible pour la Pologne. Pour en venir là, il n’avait fallu rien moins qu’un ébranlement du continent, des luttes gigantesques, le reflux de l’Europe contre Napoléon, la coalition de tous les sentimens froissés, de tous les intérêts révoltés contre une domination enivrée d’elle-même, et, ce qui était plus imprévu alors, la défaite de celui qu’on s’était presque accoutumé à croire invincible, dont la fortune n’avait reculé devant rien jusque-là. Dans la situation d’esprit de l’empereur Alexandre, qui se croyait avec une certaine candeur le libérateur de l’Europe, cette idée de renouer une tradition de sa jeunesse, de se montrer libéral en tout, de reprendre ses projets de réparation et d’équité envers la Pologne, cette idée devait lui sourire ; elle se liait sans doute à une pensée d’ambition qui se trouvait satisfaite par un agrandissement pour la Russie, par le lustre d’une couronne pour Alexandre,