Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la constitution sauf les lois qui devaient la régler, et on établissait la censure par cette raison plausible que la prévision de lois répressives n’excluait nullement les mesures préventives. On livrait à la censure les journaux d’abord, puis les livres publiés en Pologne, puis les livres venus du dehors. On supprimait l’instruction primaire et on bannissait de l’instruction supérieure tout ce qui pouvait nourrir des idées de patriotisme et de liberté. Les séances de la diète devaient être publiques selon la charte constitutionnelle, et un oukase supprimait tout simplement cette publicité. On finit même par supprimer les procès-verbaux des séances, sous prétexte que cela ne pouvait qu’entretenir « les dissensions entre les habitans. » La constitution assurait des garanties judiciaires, et des commissions d’enquête annulaient l’action régulière des tribunaux. La liberté individuelle était garantie, et les prisons d’état se remplissaient par simple mesure de police. Et s’il en était ainsi déjà sous Alexandre, qu’était-ce donc sous son successeur, sous Nicolas, dont le règne commençant était signalé par un immense procès d’état où toutes les garanties de justice étaient violées, où des arrêts réguliers étaient annulés ? Je ne parle pas de ce qui a suivi la révolution de 1830, cette révolution qui ne fut qu’une protestation nationale contre tout un système de destruction.

Tant que le prince Adam, dans les premières années du règne d’Alexandre, avait espéré faire le bien, il était resté à son poste. Sa correspondance de ces premières années n’est qu’une énumération invariable de tous les abus, de toutes les violations des lois, un appel incessant et prévoyant à l’empereur. « Qu’il me soit permis encore une fois, disait-il, de rappeler l’indispensable nécessité de s’en tenir saintement à la constitution, et de donner à ce sujet des instructions très précises au lieutenant. Cela comprend tout. Que les habitans du royaume se sentent et se voient Polonais ; qu’ils se gouvernent chez eux, qu’on les laisse librement et paisiblement travailler à l’amélioration de leur état intérieur : à ces conditions, le pays s’attachera à son union avec la Russie, pourvu que ce lien soit de nation à nation, pourvu que le fait et l’illusion d’une Pologne véritable et constitutionnelle soient conservés. Cet amour passionné d’une nationalité distincte est la seule source de jalousie et de lutte qui puisse exister entre les deux peuples. L’offensive sur ce point de la part des Russes, la défensive de la part des Polonais, produiront encore des tiraillemens, de l’amertume, des craintes et des malentendus que la sagesse seule de votre majesté peut calmer. » Quand le prince Adam vit tout se gâter sans espoir de remède, il commença de s’éloigner. Ses rapports avec Alexandre se refroidissaient encore une fois et redevenaient embarrassés, contraints. Ils