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avait tort. Quant à nous, en applaudissant avec tout le monde à la fraîcheur d’idées, à la vérité, à la grâce de ces jolies compositions, nous admirions encore le bon seps de l’auteur, qui sentait que ces excellens sujets de vaudeville n’étaient point propres à la comédie, et que ces pensées si légères s’effeuilleraient en se développant. Nous ne connaissons pas de pièce de M. Scribe dont on puisse regretter qu’il n’ait pas fait une comédie. Son art est précisément de saisir ces demi-teintes, ces nuances indécises qui craindraient le grand jour de la scène comique ; son secret est de nous montrer, à distance et de profil, certains objets qui, vus autrement, perdraient une partie de leur grâce. Son talent est un talent de demi-jour. M. Scribe possède au suprême degré les lois de cette optique théâtrale. Forcez un peu plus le coloris, dessinez plus nettement tel caractère, prolongez telle situation, transformez enfin le vaudeville en comédie ; au lieu d’une esquisse gracieuse ou piquante, vous aurez un tableau, mais commun, faux ou maussade. »


Et M. Magnin, appliquant ce procédé d’extension possible, mais peu désirable, à la jolie pièce le Mariage de raison, s’attachait à montrer « qu’élevé aux proportions de la comédie, le Mariage de raison eût vraisemblablement échoué, tandis que le Mariage d’argent, réduit aux dimensions d’une comédie-vaudeville, aurait peut-être eu la vogue. » Il ne voyait dans ce dernier « qu’un vaudeville dilaté, bulle brillante, soufflée avec effort et lancée sur le Théâtre-Français. »

Certes M. Scribe a depuis lors réussi sur la scène française par de jolies comédies qu’il a eu bien raison de ne pas se refuser ; il se devait tôt ou tard à lui-même et à son talent de hasarder cette bataille et de la livrer ; c’est assez pour son honneur qu’il ne l’ait point du tout perdue et qu’il ait maintenu sa bannière. Mais pourtant, comme le jugement de M. Magnin reste, somme toute, le vrai jugement, la juste et fine vérité sur lui et sur le meilleur de son œuvre !

M. Magnin, au Globe, eut son rôle et fit également sa partie dans cette espèce de concert où les productions des littératures étrangères étaient pour la première fois soumises à l’examen impartial du public français ; le Portugal était proprement son domaine, et il préludait ainsi par des articles en quelque sorte préparatoires à son morceau capital de la Revue sur la vie de Camoens[1]. Sur Shakspeare, il eut le mérite de suppléer et de remplacer M. Desclozeaux, si en fonde de doctrine, mais déjà absorbé par les affaires et par le palais, et pendant toutes les représentations que donnèrent les. acteurs anglais à Paris en 1827-1828 il suffit à cette tâche délicate et neuve de feuilletoniste de Shakspeare : ce fut pour lui une très active et très honorable campagne. Il lui était plus aisé assurément de parler

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1832.