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Était-ce Saturnia, comme le veulent Guillaume Postel en son livre de Originibus et Frédéric Münter dans ses Dissertations archéologiques ? était-ce Vatentia, Valesia, Valeria, comme l’ont cru plusieurs savans d’après certains passages de Festus et de Solinus ? Niebuhr était-il autorisé à écrire d’un ton affirmatif au premier volume de son Histoire romaine : « Le nom latin de Rome, ce nom qu’il était interdit de prononcer, c’est Quirium ? » On devine aisément la racine de ce mot comme on en voit tout de suite les dérivés ; quirium, quirinus, quirites, tout cela vient de quire, pouvoir, pouvoir par la force, et le nom caché de Rome eût été simplement la traduction latine de Ρώμη. Il faut reconnaître ici, malgré l’autorité de Niebuhr, que ce nom mystérieux eût été mal caché, puisque le dérivé quirites, si souvent employé dans la vie civile des Romains, l’eût rappelé sans cesse à leur esprit. Comment oublier d’ailleurs au sujet de cette bizarre énigme l’opinion d’un écrivain de l’antiquité, critique médiocre il est vrai, mais ici témoin très digne de foi, puisqu’il s’agit seulement d’un point de fait ? comment oublier ces paroles de Macrobe : « Le plus savant parmi nous n’en sait absolument rien, et nous en sommes réduits là-dessus à de simples conjectures ? » Les uns croient que c’est Jupiter, et les autres la lune ; ceux-ci nomment Angerona, déesse du silence, qui était représentée tenant un doigt sur sa bouche, ceux-là tiennent pour la Cybèle italique, dont le nom indigène était Ops Consivia. M. de Lasaulx discute ces conjectures diverses, et bien que la dernière paraisse fort plausible à Macrobe, il la repousse comme les autres. Le grand mystère de Rome étant l’union de Babylone et de Jérusalem, l’union de la force et de l’esprit, il faut bien que les deux noms de Rome expriment ces deux ordres d’idées, l’esprit et la puissance, Jérusalem et Babylone. Si le nom connu exprime la force, le nom caché doit exprimer l’esprit. Une fois armé de ce principe, le mystagogue écarte tous les noms qui ne rappelleraient que des titres matériels ou des vertus physiques, et, furetant dans tous les magasins de l’archéologie antique, il cherche une étiquette dont le sens pourrait convenir à son système. En voici une : parmi les cabinets de curiosités du vieux monde, parmi ces collections plus ou moins dépareillées où les modernes font encore d’intéressantes trouvailles, on peut ranger les ouvrages d’un certain Johannes Laurentius, vulgairement nommé Lydus, qui vivait à Byzance au Ve siècle de l’ère chrétienne. Or, en interrogeant ces écrits oubliés, M. de Lasaulx a mis le doigt sur un texte où se trouve précisément la solution qu’il cherchait. « Rome avait trois noms, dit le Byzantin Lydus : premièrement un nom mystérieux que les souverains pontifes pouvaient seuls prononcer dans les plus solennels sacrifices, et ce nom, c’était Amor ;