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l’empire, ceux qui travaillaient le plus efficacement à l’unité du genre humain, Salvius Julianus, Ulpien, Papinien, fussent des sémites, et que cette même race sémitique ait donné à l’empire un monstre comme Caracalla, un fou furieux comme Élagabal ? Il faut revenir au point de vue de M. Thierry, qui seul peut tout concilier ; il y a ici deux histoires qui se croisent, qui s’embrouillent parfois aux yeux inattentifs, et qui pourtant sont absolument distinctes, l’histoire des hommes et l’histoire des idées. Deux influences tout opposées peuvent saisir les hommes que le destin a jetés dans l’arène impériale. Les uns comprennent l’immense labeur imposé à la romanité et ils y consacrent leurs efforts, ce sont les grands ouvriers du genre humain ; les autres ne puisent dans la situation que l’orgueil de la toute-puissance : ivres de sang et de débauches, ils sont l’effroi de la nature. Après Marc-Aurèle, Commode ; après Septime-Sévère, Caracalla. Cependant à travers ces vicissitudes la transformation sociale préparée par les jurisconsultes poursuit toujours sa marche. Elle est favorisée surtout par l’esprit religieux qui se dégage. Un des faits les plus extraordinaires de cette mystérieuse période des empereurs syriens, ce sont leurs sympathies secrètes pour la religion de Jésus. Caracalla était l’élève d’une nourrice chrétienne, et, malgré les infamies de sa vie, il est certain qu’il protégeait les chrétiens. Le pieux Alexandre-Sévère avait sans cesse à la bouche les maximes de l’Évangile. « Ils semblaient, dit M. Thierry, marcher au-devant du christianisme. »

Qui saura jamais d’une manière exacte le rôle des césars orientaux et des princesses arabes dans ces transformations religieuses de l’humanité ? En attendant que les orientalistes éclaircissent, s’il est possible, quelques-uns de ces mystères, ce n’est pas à nous qu’il convient de regretter qu’aux vagues aspirations des empereurs syriens vers le christianisme ait succédé la propagande énergique et résolue des hommes de l’Occident. La figure divine du Sauveur ne devait pas apparaître au monde au milieu des souvenirs d’Élagabal. C’est bien assez de Constantin. L’ardente réaction du génie occidental contre les mœurs asiatiques, cette réaction qui éclate sous Aurélien et qui est un des faits principaux du IIIe siècle, ne profite pas moins à la cause du Christ qu’à celle de la civilisation. Ses chefs sont des Gaulois ou des Illyriens, presque tous soldats de fortune, hommes de discipline rigide, et qui, à l’unité politique inspirée de l’Orient, ajoutèrent, dit M. Thierry, l’unité administrative. Voilà encore un de ces faits que l’érudition peut signaler à la philosophie de l’histoire, mais que la sagacité la plus pénétrante ne peut complètement expliquer. Quelle a été cette réaction de l’Occident ? Contenait-elle un élément libéral ? Ces Gaulois