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M. Michelet appelle l’empire romain « la grande initiation du monde. »

Et plus tard, quand le travail recommandé par le vieux soldat mourant a été inutile, quand l’œuvre des jurisconsultes est restée à demi impuissante, quand le vice incurable, non pas de tel empereur et encore moins de l’empire, mais du vieux monde tout entier, quand l’esclavage a tué la société antique, et que le christianisme lui-même, avec ses trésors de vie, n’a pu sauver le colosse agonisant, quand il faut enfin que les Barbares viennent fournir un sang vierge à l’humanité de l’avenir, le brillant, le généreux historien de la France adresse encore des paroles de reconnaissance au régime qui a détruit les vieilles aristocraties païennes et transmis aux peuples nouveaux l’immortel principe de l’égalité. « Est-ce à dire, s’écrie-t-il, que tout cela se soit accompli en vain, que cette dévorante Rome ne laisse rien sur le sol gaulois, d’où elle va se retirer ? Ce qui y reste d’elle est en effet immense : elle y laisse l’organisation, l’administration. Elle y a fondé la cité. La Gaule n’avait auparavant que des villages, tout au plus des villes. Ces théâtres, ces cirques, ces aqueducs, ces voies que nous admirons encore, sont le durable symbole de la civilisation fondée par les Romains, la justification de leur conquête de la Gaule. Telle est la force de cette organisation, qu’alors même que la vie paraîtra s’en éloigner, alors que les Barbares sembleront près de la détruire, ils la subiront malgré eux. Il leur faudra, bon gré, mal gré, habiter sous ces voûtes invincibles qu’ils ne peuvent ébranler ; ils courberont la tête et recevront encore, tout vainqueurs qu’ils sont, la loi de Rome vaincue. Ce grand nom d’empire, cette idée de l’égalité sous un monarque, si opposée au principe aristocratique de la Germanie, Rome l’a déposée sur cette terre. Les rois barbares vont en faire leur profit. Cultivée par l’église, accueillie dans la tradition populaire, elle fera son chemin par Charlemagne et par saint Louis. Elle nous amènera peu à peu à l’anéantissement de l’aristocratie, à l’égalité, à l’équité des temps modernes[1]. »

Ne sont-ce pas les mêmes idées que M. Amédée Thierry a présentées avec un enchaînement logique dans son Tableau de l’Empire romain ? Remontez aux premières leçons de M. Guizot ; vous les trouverez encore. Seulement M. Guizot est plus complet ; il dit à la fois le bien et le mal, il juge en historien et en philosophe. Dans ses études sur la civilisation en France, il est amené à considérer l’empire sous un double point de vue, et soit qu’il l’interroge dans Rome même, soit qu’il l’aperçoive, lui aussi, du fond de la Gaule,

  1. M. Michelet, Histoire de France, t. Ier, chap. III.