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en lui assurant des conditions de durée. La loi, fort ancienne, qui autorisait ces assemblées avait consacré, à vrai dire, et organisé la révolution permanente ; elle avait été, sous les Médicis, le plus puissant instrument de leur despotisme ; elle redevenait après leur chute, aux mains de leurs partisans, ou dans celles d’une démocratie sans frein, la menace la plus redoutable. Cette loi autorisait le gonfalonier et les membres, toujours peu nombreux, de la seigneurie, à convoquer sans annonce préalable le peuple sur la grand’place au son de la grosse cloche du Palais-Vieux, et à lui faire acclamer quelque résolution, qui devenait ainsi légale. Or on comprend qu’à ces convocations subites la populace remplaçait aisément les vrais citoyens, et qu’il était trop facile aux factieux d’organiser des bandes en vue de ces occasions pour leur faire voter les mesures les plus révolutionnaires. Les Médicis s’étaient bien gardés de faire disparaître un tel usage, et plus d’une fois des assemblées à parlement leur avaient décerné une dictature temporaire, pendant laquelle ils pouvaient modifier les lois ou faire disparaître ceux des citoyens qui les gênaient. Jamais la parole du frère ne fut plus ardente ni plus vive que lorsqu’il entreprit de faire abroger cette loi d’anarchie ou de despotisme. Il se laissa même entraîner en cette occasion jusqu’à une violence de langage qui ne s’explique que par son intime conviction que là était en réalité la pierre d’achoppement de toute son œuvre et de toutes ses patriotiques espérances : « Prends garde, ô Florence, qu’on ne fasse encore un seul parlement ! Sachez bien tous que celui qui parle d’assemblée à parlement n’a d’autre but que de dépouiller le peuple de tous ses droits. Gardez cela dans vos esprits et enseignez-le à vos fils… Quelqu’un vous propose-t-il de faire sonner les cloches pour un parlement, si c’est un simple citoyen, qu’il soit déclaré rebelle, et que tous ses biens soient confisqués. » Savonarole parlait ainsi le 28 juillet 1495 ; quinze jours après, la loi qui supprimait l’usage de ces parlemens était votée, et il commençait à considérer avec quelque sécurité, non pas certes son avenir à lui-même, mais celui des réformes qu’il avait fait accepter. Le texte de la loi nouvelle promettait 300 florins à quiconque dénoncerait l’auteur d’un projet contraire ; et contre l’auteur même elle décrétait la peine de mort. À ceux qui penseraient trouver ici une autre sorte de violence dont ils pourraient finalement charger Savonarole, il convient de rappeler de nouveau le jugement du froid et politique Guichardin : « Si l’on veut que dure le gouvernement libre, dit-il dans ses Discorsi[1], il faut que dure aussi cette loi contre les assemblées à parlement. Avec elles, il est par trop facile de dissoudre

  1. Œuvres inédites, t. II, p. 299.