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faisait surtout, à ce qu’il semble, grande chère d’érudition. Sa munificence ne lui coûtait guère, s’il est vrai, comme le prétend Cornélius Népos, qui avait vu les comptes, qu’il ne dépensait que 3,000 as (150 fr.) par mois pour sa table. Cicéron, toujours indiscret, raconte qu’on y servait des légumes fort ordinaires sur des plats très précieux ; mais qu’importe ? tout le monde s’estimait heureux de faire partie de ces réunions d’élite dans lesquelles on entendait causer Atticus et lire les plus beaux ouvrages de Cicéron avant qu’ils ne fussent publiés, et l’on peut dire que tout ce qu’il y a eu de plus distingué dans ce siècle, qui fut si grand, a tenu à honneur de fréquenter cette maison du Quirinal.


I

De tous les bonheurs d’Atticus, celui qu’on est le plus tenté d’envier, c’est l’heureuse fortune qu’il a eue de s’attacher tant d’amis. Il y prit beaucoup de peine. Dès son arrivée à Rome, on le voit occupé à se mettre bien avec tout le monde et se servir de tous les moyens pour plaire aux gens de tous les partis. Sa naissance, sa fortune, la façon dont il l’avait acquise, le rapprochaient des chevaliers : ces riches fermiers de l’impôt public étaient ses amis naturels, et il eut bientôt parmi eux un grand crédit ; mais il n’était pas moins lié avec les patriciens, si dédaigneux d’ordinaire pour tout ce qui n’était pas de leur caste. Il avait pris, pour se les concilier, la route la plus sûre, qui était de flatter leur vanité. Il profita de ses connaissances historiques pour leur fabriquer des généalogies complaisantes dans lesquelles il se faisait le complice de beaucoup de mensonges, et appuyait de sa science leurs plus chimériques prétentions. Cet exemple nous montre déjà comme il connaissait bien le monde, et le parti qu’il en tirait quand il voulait gagner l’amitié de quelqu’un. Rien qu’à voir la nature des services qu’il rendait à chaque personne, on devine quel profond observateur ce devait être, et le talent qu’il avait pour saisir le faible des gens et en profiter. Il avait proposé à Caton de s’occuper de ses affaires à Rome pendant son absence, et Caton s’était empressé d’accepter : un intendant de ce mérite n’était pas à dédaigner pour un homme qui tenait tant à sa fortune. Il avait séduit le vaniteux Pompée en s’occupant à choisir en Grèce de belles statues pour orner le théâtre qu’il faisait bâtir. Comme il savait bien que le ferme esprit de César n’était pas accessible au même genre de flatteries, et qu’il fallait, pour se l’attirer, des services plus réels, il lui prêtait de l’argent. C’était naturellement aux chefs de parti qu’il s’attachait de préférence ; mais il