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son tour 100 pour 100 et nous la compte 400 milreis. Nous ne pouvons pas à plus forte raison, nous qui avons toute la peine, gagner moins de 100 pour 100, et nous sommes obligés de vendre ce bijou aux senhoras de l’intérieur 800 milreis. Or, comme elles prennent ordinairement à crédit, leurs maris nous font une lettre de change d’un conto de réis (2,500 fr.) pour que nous ne perdions pas les intérêts.

Les Brésiliens se sont cependant aperçus à la longue qu’ils payaient les bijoux de leurs femmes vingt-cinq fois leur valeur, et ils ont fini par renoncer aux bons offices des mascates. Ce sont surtout les Juifs d’Alsace et des provinces rhénanes qui excellent dans ce commerce. Le Parisien vend plus volontiers de la parfumerie et autres menus objets. Les Italiens apportent de petits saints en plâtre pour orner les chapelles ou des orgues de Barbarie. Parfois il arrive aux mascates de faire faillite en laissant en chemin leur mule de charge, entraînée par le torrent au passage d’une rivière ou perdue dans les précipices de la route. Il y en a qui font des chevauchées de huit cents lieues jusqu’aux extrêmes limites des peuplades civilisées. Bien peu d’entre ceux-là échappent aux fatigues de la route, aux flèches des Botocudos, à la dent du tigre ou aux tortures de la faim. J’ai rencontré plusieurs fois dans mes voyages de ces malheureux n’ayant plus ni mules, ni chaussures, ni vêtemens, et se consolant de leur misère en contemplant une boîte de petits grains de quartz que les indigènes de prétendus terrains diamantifères leur avaient donnés comme diamans en échange de leurs marchandises. Ceux qui reviennent à la vie n’ayant plus de capital cherchent un métier moins rude ; ils se font comédiens, jardiniers, professeurs, dentistes, photographes, etc. Passant un jour à Rio, je fus arrêté par un individu que je ne reconnaissais pas : c’était un de ces pauvres diables que j’avais trouvé demi-mort de, faim, de fatigue et de misère sur le Haut-Parahyba. Je lui avais laissé une chemise croyant lui jeter son suaire. Il ressuscita par miracle, se traîna d’étape en étape, et vint s’établir dentiste à Rio-Janeiro.

On conçoit d’après ces détails que le Français ne jouisse pas d’une réputation excellente dans le pays ; aussi lui attribue-t-on volontiers tout méfait commis par un étranger. Il faut remarquer, à l’excuse des Brésiliens, que la plupart des étrangers parlant la langue française se disent Français. Que de fois, demandant à un de ces Français improvisés le nom de son département, je l’ai entendu me répondre Fribourg, Namur, etc., indications suffisantes pour le Brésilien, peu versé d’ordinaire dans la science géographique. Du reste le planteur a encore à redouter quelque chose de pire que les maléfices du Juif rhénan ; celui-ci ne vise qu’à sa bourse, mais le Parisien, dès la seconde rasade de porto, entame le chapitre de la