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dans une voie où les plus étranges complications se succèdent coup sûr coup, et le public européen n’en reçoit la nouvelle qu’avec une sorte d’insouciance. Cette indifférence, il faut le dire, n’a point d’excuse, car la Chine et le Japon ont cessé d’être à nos yeux de simples expressions géographiques, et nos rapports avec ces pays ont pris en peu de temps une extension singulière. Aussi l’opinion publique ne devrait-elle pas permettre que le contrôle qu’elle a le droit d’exercer sur des relations aussi sérieuses lui échappât par sa propre faute, c’est-à-dire par son indifférence.

La Chine ne s’est pas encore relevée du désastre de l’invasion étrangère; la prise de sa capitale et la destruction du palais impérial ont porté sa défaite au comble, et les récens traités avec la France et l’Angleterre, ainsi que la cession d’un immense territoire à la Russie, en ont été la consécration officielle. Forcée de reconnaître son impuissance à lutter contre les armées de l’Occident, la cour de Pékin a fini par adopter un ensemble de mesures que sa démoralisation, sa faiblesse extrême, son impéritie radicale à tirer parti de ses forces, expliquent sans les justifier. Elle s’est jetée dans les bras de ses nouveaux alliés, et, peu soucieuse du soin de sa propre dignité, elle a imploré la protection de ses ennemis de la veille; elle a brusquement renoncé d’elle-même à son antique indépendance. Trois nations ont été présentes pour recevoir cet aveu d’impuissance : la France, l’Angleterre et la Russie. Il n’est pas permis de supposer que les représentans de ces nations se soient concertés entre eux pour profiter de la déplorable situation du Céleste-Empire. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont travaillé d’un parfait accord à la réorganisation des finances et des armées de la Chine, et qu’en dépit du principe de non-intervention adopté à l’unanimité, ils ont prêté à ce pays assistance ou lui ont promis aide efficace pour la répression de la formidable rébellion des taï-pings.

Ce sont les Anglais qui, en ce sens, ont rendu le plus de services à la Chine. M. Lay, intendant supérieur des douanes, remplit depuis plusieurs années auprès du gouvernement chinois des fonctions qui équivalent en quelque sorte à celles d’un directeur-général des finances. Il est entouré d’un nombreux état-major d’employés anglais et français, commis, surveillans et collecteurs d’impôts, à Shang-haï, à Fou-chaou, à Ning-po, à Han-kaou, à Tien-tsin, etc., et ses efforts ont rencontré à tel point l’approbation du ministre britannique à Pékin, que, malgré les protestations énergiques et réitérées de la presse et des communautés étrangères, il se maintient dans une position que les négocians anglais résidant en Chine déclarent tout d’une voix nuisible aux intérêts et à la dignité de l’Angleterre. M. Osborne, un ancien officier de marine, a fait construire dans les ports de la Grande-Bretagne plusieurs bâtimens de guerre qui sont déjà partis pour la Chine ou qui s’y rendront prochainement, et quand ils seront réunis, il en prendra le commandement supérieur, assumant ainsi de son autorité privée les fonctions d’amiral de la plus puissante flotte que la Chine ait connue.