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petit monde commence à être exploré par d’aventureux voyageurs. Après avoir épuisé les Grecs et les Romains, les hiéroglyphes et la littérature cunéiforme, l’insatiable curiosité de notre siècle s’est enfin reportée sur la littérature protestante de la France, et elle a été fort surprise d’y découvrir des écrivains français inconnus, de vrais Français qui avaient pris part à la vie morale de la nation, qui avaient suivi et subi les péripéties de sa destinée, et qui, pour avoir apporté dans leur association avec elle une disposition d’esprit particulière, n’en parlaient pas moins la langue intellectuelle de la France, je veux dire qui procédaient assez des mêmes traditions que nous tous, et qui pensaient assez avec le même fonds d’idées premières pour se trouver naturellement en rapport avec nos préoccupations, et en état d’éclairer les questions que nous cherchons à résoudre.

Il y a trois ou quatre ans qu’une réimpression, précédée d’une préface de M. Prévost-Paradol, nous révélait encore un de ces citoyens ignorés de notre littérature, un remarquable penseur, autrefois pasteur à Nîmes et fort célèbre de son temps (1822-1837) parmi ses coreligionnaires, fort connu même dans un certain rayon pour des services rendus en dehors de son église, mais dont la France n’avait guère entendu parler, et qui cependant méritait bien d’obtenir enfin sa part d’estime et de reconnaissance. Je fais allusion à Samuel Vincent, l’auteur du Protestantisme en France. Il appartenait à M. Prévost-Paradol de retrouver et de mettre en lumière un homme qui avait autant de titres à figurer parmi les pères de la liberté, parmi les précurseurs des idées qui semblent vouloir se faire jour en ce moment. « Sur la plupart des points d’histoire ou de doctrine que Samuel Vincent a touchés, observait M. Paradol, il a devancé de beaucoup les idées de son temps, et se trouve d’accord avec les meilleurs esprits du nôtre. » La remarque est vraie non-seulement de Vincent, mais de plus d’un autre écrivain de son petit monde ; chez eux, la pendule de la pensée ne marquait pas la même heure que chez nous, et cela peut nous expliquer comment les livres écrits par des protestans ont eu plus de peine encore que les livres écrits par des Juifs à pénétrer dans la circulation générale du pays. Au commencement du siècle, alors que la France en était encore au point de vue qui nous a valu la centralisation, le monopole universitaire, le despotisme de la convention, et bien d’autres tentatives pour empêcher les individus de se tromper, en organisant le règne de la meilleure opinion; dès cette époque, dis-je, la petite église genevoise de Benjamin Constant, de Mme de Staël, de Sismondi, etc., enseignait la liberté et le droit des convictions dissidentes. Plus tard, pendant l’immense succès du plaidoyer où Lamennais réclamait l’unité de croyance, appuyée sur l’autorité de l’église, — en attendant qu’il imaginât sa fameuse théorie de la raison commune, qui a seule raison, et devant laquelle doit plier la raison individuelle, qui a toujours tort, — Samuel Vincent, le pasteur de Nîmes, était le premier à élever la voix pour montrer que la véritable unanimité est impossible, et que toutes