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les méthodes par lesquelles on tente d’établir l’uniformité, sans s’inquiéter de l’assentiment des âmes, ne servent qu’à étouffer toutes les convictions, y compris celle qui voulait s’assurer la souveraineté absolue. — Plus tard encore, sous le règne de Louis-Philippe, tandis que le socialisme, le communisme, les sentimens humanitaires, étaient dans l’air, et que des romanciers aux philosophes, de M. de Lamartine à M. Louis Blanc, c’était une mode universelle de faire consister toute morale, toute prospérité sociale, tout génie même dans l’anéantissement de l’individu au sein de la pensée collective ; pour tout dire, tandis que dans le langage du temps le mot individualisme était devenu le nom du mauvais principe, source de tout mal, une école surgissait en Suisse qui faisait du même mot le nom du bon principe, de ce qui pouvait seul ranimer les croyances, raviver l’activité politique, réveiller à la foi religieuse les consciences, les intelligences et les énergies. Comment s’étonner que des hommes placés aux antipodes ne se soient pas rencontrés? Si chez les uns et les autres c’était bien toujours le même esprit français, la grande France dans son tour du monde n’était pas arrivée à l’étape où la petite France s’était déjà engagée; mais cette étape, il semble maintenant que nous soyons disposés à la parcourir, et, s’il en est ainsi, on ne pouvait mieux faire que de réimprimer les Méditations de Samuel Vincent. Étant donnée cette disposition chez le public, le livre renferme tout ce qu’il faut pour être profitable et même pour plaire. De toute façon, la faute ne sera pas de son côté, et pour ma part je serais heureux de contribuer autant qu’il est en moi à attirer sur lui l’attention.

Malgré le titre qu’elles portent, ces Méditations ne sont pas une œuvre spécialement religieuse. L’élément religieux s’y trouve, mais il s’y trouve aussi quelque chose de plus général. Les hommes qui, à partir de 1815, ont pris la tête du réveil dans les églises protestantes traitaient Vincent comme une moitié de rationaliste. Cela était tout à fait inexact; mais il y a cela de vrai au moins que chez lui la religion s’allie plutôt qu’elle ne se substitue à la pensée séculière : on pourrait le deviner rien qu’au mot vertu qu’il emploie volontiers à la place du mot sainteté, — et l’homme religieux n’est pas sans perdre à cela une partie de sa puissance. Toujours est-il que le moraliste, d’un autre côté, y gagne un plus large auditoire. Sous le chrétien, il y a un esprit qui peut aider tous les esprits à franchir un degré d’initiation qu’il faut également traverser pour s’élever dans la politique, dans la connaissance des hommes, dans la vie morale et dans la religion. Je ne veux pas faire de Vincent un penseur positivement original. Quand même on n’en trouverait pas la preuve dans le recueil mensuel qu’il publia pendant plusieurs années sous le titre de Mélanges de littérature et de morale, il serait facile de s’apercevoir que vers 1822 il avait lu Kant et Schleiermacher; mais il est à coup sûr un des hommes qui ont le mieux compris dans toute sa portée et qui ont le plus travaillé à faire réussir chez nous le grand mouvement moral qui, vers le commencement