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et qui, suivant l’usage japonais, avaient été communiqués au commissaire de la fête pour être lus à haute voix, dans l’intention de stimuler l’ardeur des lutteurs. La lecture terminée, l’officier se rangea pour laisser la place libre au milieu de l’arène ; deux lutteurs se présentèrent, et après avoir salué le public en levant les bras au-dessus de leurs têtes, ils se disposèrent pour le combat. Les préparatifs durèrent longtemps ; la foule, qui devait y être accoutumée, ne s’en plaignait pas, mais les étrangers perdirent patience, et leur exclamation haîakko (dépêchez-vous) se fit entendre plus d’une fois, à la grande joie des Japonais, qui en riaient aux éclats. Les lutteurs commencèrent par répandre dans l’arène quelques grains de riz et quelques gouttes d’eau pour se rendre le dieu des gladiateurs favorable, puis ils mouillèrent légèrement leurs épaules, leurs bras et leurs jambes, se frottèrent les mains avec du sable, exécutèrent des mouvemens grotesques, ayant sans doute pour effet d’assouplir leurs membres, et finirent par se camper l’un en face de l’autre au milieu de l’arène, dans la posture d’hommes qui, de toutes leurs forces, se préparent à se frayer passage. Accroupis sur la pointe de leurs larges pieds, les coudes serrés contre le corps, le cou tendu, le buste un peu incliné en avant, leur attitude était grotesque et menaçante à la fois. Sur un signal donné par le commissaire de la fête, les deux hommes poussèrent un cri rauque et se ruèrent l’un sur l’autre, chacun avec l’intention de culbuter son adversaire. Le choc dut être terrible ; le bruit en retentit sourdement dans tout le cirque, et les chairs des combattans, à l’endroit où ils avaient été touchés, se couvrirent à l’instant d’une vive rougeur ; mais le coup avait été calculé avec tant d’adresse que l’effet en avait été pour ainsi dire neutralisé. Les deux hommes avaient rebondi sur eux-mêmes comme deux masses inertes et du même poids qui auraient été lancées l’une contre l’autre avec une vitesse égale. Ils revinrent immédiatement à la charge, se heurtant à l’envi de toutes leurs forces, chacun faisant de puissans efforts pour rester seul maître de l’arène. Après quelques tentatives infructueuses, ils renoncèrent à terminer le combat de cette manière, et aux immenses applaudissemens de la foule qui suivait les phases de la lutte avec un intérêt fébrile, ils se saisirent enfin corps à corps. Ce fut alors un spectacle émouvant que celui des deux colosses nus, étroitement unis dans une puissante étreinte, épaule contre épaule, poitrine contre poitrine, les bras entrelacés, les jambes écartées et soutenant sans fléchir le poids énorme qui pesait sur elles. Les membres se raidissent, les muscles tendus se dessinent vigoureusement. Aucun d’eux n’a encore été ébranlé. Soudain en voici un qui empoigne son adversaire à la ceinture ; d’un bras il le soulève de terre et le