de Paphos enlacées à la couronne sanglante du crucifié ! Concerts divins, où la flûte des bergers d’Arcadie unit sa voix à celle de la trompette épique, où les romantiques folies de la guitare de Provence se marient aux majestés de la lyre de Virgile et aux cantiques solennels du roi-prophète !… — Et cependant, me disais-je encore, ce mélange du profane et du sacré n’a rien de profane ; ces caprices de la fantaisie n’ont jamais un air de caprice ; ces disparates n’en sont pas, et l’œuvre du poète est harmonieuse, parce que son âme était une harmonie. Oh ! qui donc a faussé ce noble instrument ? qui a brisé les cordes de cette lyre d’or ? Masque de cire, vous êtes une énigme redoutable !… Ce masque était toujours devant moi ; je croyais le voir, je le voyais, à cela près que par instans je lui prêtais le sourire de la Vierge de Léonard… — L’aurore naissante me surprit au milieu de ces réflexions. Je me jetai sur mon lit, je dormis deux heures, et, quand je m’éveillai, j’étais plus décidé que jamais à découvrir pourquoi le Tasse est devenu fou.
Je suis doué de la volonté la plus tenace du monde, et je n’ai jamais qu’une idée en tête. Mon grand projet m’occupait tout entier ; j’en perdais presque l’appétit et le sommeil. Vous vous souvenez de La Fontaine accostant les passans pour leur dire à brûle-pourpoint : « Avez-vous lu Baruch ? » J’en étais là, si ce n’est que je n’arrêtais pas les gens dans la rue ; mais dans toutes les maisons où j’avais accès, dans toutes les compagnies où je me trouvais, je parlais du Tasse et ne parlais guère d’autre chose. Par malheur, dans la société que je fréquentais, on se souciait du Tasse comme du Grand-Mogol. Mes questions restaient sans réponse, mes doutes sans solution. Je résolus de changer de méthode. Je me procurai l’édition du Tasse de Rosini, en trente volumes in-octavo, sa biographie par Pierantonio Serassi, l’excellente édition des Lettres qu’a donnée Cesare Guasti. Muni de ces trésors, je me claquemurai chez moi et fis défendre ma porte à tout venant. Du matin au soir, et bien avant dans la nuit, je lisais, j’étudiais, je méditais, je raisonnais. Hélas ! vous l’avouerai-je ? des efforts si louables ne me profitèrent point. Le bon Serassi ne m’apprit pas grand’chose. Si érudit que fût ce digne homme, sa sagacité n’égalait pas sa bonne foi, et, sur le point qui m’embarrassait, il n’a que des conjectures vagues qui ne me persuadèrent pas. J’entamai résolument les trente volumes de Rosini ; je portais dans cette étude la contention d’esprit d’un magistrat qui instruit une affaire épineuse. En vérité, j’ai bien sujet de me plaindre de la nature ! Elle se plut à me donner une curiosité sans bornes. Quel érudit ne serais-je pas devenu, si ma santé me l’eût permis ? Quoiqu’on fût à la fin de septembre et qu’il fût déjà tombé quelques pluies d’orage, il ne laissait pas de faire chaud. Au bout