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pas moins justice à ceux qui ont tendu la main à de pauvres créatures auxquelles personne ne songeait et fait un effort pour les tirer de l’avilissement auquel les condamnait là fatalité de leur naissance.


II

Quittons ces classes dégradées pour arriver à la partie saine des populations. Ici se présentent d’abord les enfans qui travaillent aux manufactures, légion compacte, quoique récemment formée. Jusqu’à la fin du dernier siècle, l’industrie ne s’était guère exercée, on le sait, qu’isolément ou par petits groupes, suivant la nature du produit et l’aptitude des populations. Les travaux, à quelques exceptions près, s’adaptaient à la vie domestique. Hors des villes chaque chaumière, dans les villes chaque maison, souvent même chaque étage, formaient des ateliers distincts, indépendans les uns des autres. Point d’autre servitude entre l’ouvrier et le fabricant que celle d’une tâche offerte par celui-ci, acceptée par celui-là, moyennant un prix débattu et certaines garanties d’exécution. À un travail ainsi combiné, l’esprit de famille servait de règle, de discipline et d’aiguillon ; l’obéissance et le commandement s’y distribuaient d’une manière naturelle, et la société trouvait dans les liens du sang les plus sûres garanties qu’elle pût exiger. Il n’en pouvait plus être de même le jour où la grande industrie, mettant la main sur les industries moyennes et petites, eut multiplié ses conquêtes et substitué partout les groupes aux unités, les forces collectives aux forces individuelles. Des devoirs plus étendus commençaient alors pour la communauté. Comment serait-elle demeurée indifférente quand une classe tout entière entrait, par voie d’enrôlement, dans les cadres que la manufacture créait et développait sans relâche, quand au chef du ménage succédait, au moins pour certaines attributions, le chef de l’établissement, et que, par degrés et par la force des choses, l’autorité et la responsabilité se déplaçaient ? Un régime si nouveau exigeait, comme équilibre, quelques formes tutélaires ; il fallait demander à la loi des garanties que l’esprit de famille ne donnait plus.

Il n’y a pas à insister ici sur la partie de ces prescriptions qui ont pour objet de défendre la santé et les forces de l’enfant contre l’abus qu’on en pouvait faire, et que déjà on en faisait. Il y a été pourvu par une limite dans les heures de travail et des relais imposés aux usines à feu continu. Les mêmes soins se sont étendus au contrat d’apprentissage, désormais mieux réglé, mieux respecté surtout. C’est aux stipulations morales que de préférence nous nous attacherons. Vérifions donc où en sont les obligations du maître et