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peinture a suivi une marche parallèle sous la direction de Dubreuil, puis de Simon Vouet, le maître de Le Brun, de Mignard et de Le Sueur, qui sont, avec Nicolas Poussin, la gloire du XVIIe siècle. Seul, Le Sueur, qui n’aura pas vu l’Italie, par une voie tout opposée à celle de Puget, retrouvera comme lui et plus que lui le sentiment français dans l’art. Je ne songe pas à établir un parallèle entre deux grands artistes; mais il est difficile de ne pas dire qu’au point de vue où nous nous sommes placé, Le Sueur nous touche plus que Nicolas Poussin. Il faut relever dans l’œuvre de Poussin nombre de traits qui révèlent son origine française, bien qu’on se demande parfois si l’impersonnalité poussée aussi loin est la première qualité d’un artiste. Poussin sera le plus méritant des peintres, il inspirera.par son austérité morale, par son élévation constante, tous les respects de la critique; mais on admet que tous les esprits ne soient pas également touchés, émus, passionnés par certains de ses ouvrages, Les trois contemporains de Poussin qui ont eu pour lui la vénération la plus grande, Le Sueur, Claude Gelée, Philippe de Champaigne, ont su faire vibrer dans l’âme humaine des cordes que Poussin a moins vivement effleurées. Par sa sublimité, par sa perfection même, le peintre des Andelys est quelquefois trop au-dessus de nous et se dérobe ainsi à notre jugement.

Ce n’est pas sans arrière-pensée que nous avons choisi, pour les nommer auprès de Nicolas Poussin, Claude Lorrain, Le Sueur et Philippe de Champaigne. Voici en effet deux peintres, Champaigne et Le Sueur, dont toute la vie se passa à rêver le voyage d’Italie, et qui seraient moins grands à coup sûr, s’ils avaient accompli ce voyage. Les circonstances ont été plus fortes que leur désir et les ont sauvés. On peut dire de l’un et de l’autre ce que M. Vitet a si bien dit de l’un d’eux : « Il ne savait pas que c’était sa bonne étoile qui le retenait loin de cette Italie si belle, mais si dangereuse. Sans doute il perdait l’occasion de fortes et savantes études; mais que de pièges, que de contagieux exemples n’évitait-il pas! Aurait-il su, comme Poussin en fut seul capable, résister aux séductions du présent pour ne lier commerce qu’avec l’austère pureté du passé? Son âme tendre était-elle trempée pour cette lutte persévérante, pour cet effort solitaire? N’aurait-il pas cédé? Et alors que seraient devenues cette candeur, cette virginité de talent, qui font sa gloire et la nôtre, et qui, par un privilège unique, lui ont fait retrouver dans un âge de décadence quelques-unes de ces inspirations simples et naïves qui n’appartiennent qu’au plus beau temps de l’art? » À cette série de questions il faut répondre : Oui Le Sueur, oui Champaigne eussent cédé à la tyrannie de l’influence italienne, ou bien, préservés de cet écueil par les conseils de Nicolas