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aux classes moyennes ; il donnait la prépondérance aux classes moyennes. Sous la restauration, il les organisait pour la défense et la conquête ; sous la monarchie de juillet, pour la possession et la jouissance. Le but était donc atteint, et ce n’est pas la faute du système si ceux à qui il assurait le pouvoir ne l’ont pas gardé.

Le curieux, c’est que ce système était accusé d’être trop démocratique. Il l’est peut-être encore dans un certain monde. Les cent ou deux cent mille plus imposés de la France étaient, disait-on, une démocratie. Le cent-cinquantième ou même le trois-centième de la population, représenté directement par une assemblée qui en formait environ le soixante-dix-millième, telle était la démocratie de ce temps-là ; les publicistes de l’antiquité l’auraient appelée une oligarchie. Et cependant, s’il est vrai, comme il me le semble, qu’un esprit d’égalité soit un esprit démocratique, on avait raison, et surtout le parti de la restauration était fondé à dire que le navire ouvrait la voile au vent de la démocratie. L’histoire de toute la restauration n’est que celle d’efforts tentés avec des fortunes diverses pour résister au vent qui soufflait, et, tantôt dépliant, tantôt carguant les voiles, gouverner dans le calme, comme si le calme eût été la tempête.

Les lois d’élection qui se sont succédé pendant trente ans de monarchie constitutionnelle ont donc eu cet avantage de représenter assez fidèlement l’opinion régnante de l’ancien tiers-état. Des nuances, des fluctuations, des retards dans l’expression du vœu général sont l’accompagnement et, si l’on veut, l’inconvénient obligé de tout système d’élections libres. La liberté a pour effet non pas de donner à tout le monde satisfaction, mais de donner à tout le monde l’espérance. Seul, le pouvoir absolu peut quelquefois obtenir l’unanimité par le découragement universel.

Tel n’était pas l’effet produit par l’ancien système des électeurs censitaires. En ce qui touche la liberté, il laissait peu à désirer, ou n’offrait que des inconvéniens qu’une réforme modérée aurait supprimés ; mais, je n’hésite pas à le dire, il n’était pas assez démocratique, j’entends par là assez populaire. Cantonner la vie politique dans une étroite enceinte et en donner l’irritant spectacle à la société entière, interdire aux masses toute participation à l’activité civique en excitant par l’exemple toutes les idées et toutes les passions qu’on les oblige à comprimer, faire en un mot de la liberté politique un privilège restreint et un stimulant universel, sera toujours une œuvre imprudente et contradictoire ; la base sera toujours trop étroite pour l’édifice. Demandera-t-on comment nous entendons obvier au mal et résoudre la difficulté ? Nous serons dispensé de répondre