Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ceux qui nous adresseront la question, car ce sont ceux apparemment qui l’ont résolue par le suffrage universel. Cette solution peut être prise au moins comme un fait accompli.

Il n’y a guère en effet, dans nos temps modernes, de terme fixe qui soit généralement adopté entre le suffrage restreint et le suffrage universel. Le seul système qui puisse être cité est celui de l’Angleterre, c’est-à-dire la condition d’un revenu peu élevé analogue à celle d’un cens modique, combinée avec des formes électorales extrêmement populaires et qui comportent la plus grande publicité. Les choses vont à ce point que lorsque le poil, c’est-à-dire le vote individuel et le dénombrement des votans ne sont pas demandés, l’élection peut à la rigueur être faite par la multitude qui remplit la place publique, qu’elle soit ou non composée d’électeurs. Si, dans les élections anglaises auxquelles j’ai assisté, je n’ai pas augmenté d’une main levée la majorité du candidat nommé, c’est que je ne l’ai pas voulu.

Je laisserai les statisticiens établir ce que représente en France un loyer d’habitation de 250 francs, signe principal de la capacité électorale en Angleterre ; mais je crois que si l’équivalent de ce signe était adopté en France, il produirait dans les grandes villes des effets analogues à ceux du suffrage universel, et qu’ailleurs il diminuerait très sensiblement l’action des moyens d’influence de l’administration. Il est vrai que la publicité du vote, si on l’empruntait à nos voisins, pourrait rétablir cette influence. Quoi qu’il en soit, le système britannique a aussi le mérite de la vérité. Il donne également des élections réelles. Nulle part l’opinion publique n’est plus maîtresse qu’en Angleterre.

En est-il de même du suffrage universel ? Nous le prenons tel qu’il est constitué parmi nous ; quand il n’aurait pour lui que le fait de son existence, il mériterait plus d’attention que les projets et les hypothèses des publicistes. Constatons d’abord qu’il est difficile de différer plus en principe des systèmes antérieurs que le suffrage universel. Le système des électeurs censitaires était conçu en défiance du nombre ; il était fondé sur cette idée que le nombre n’était rien de plus que la force. De là cette attribution exclusive du droit d’élire à ceux qui en étaient jugés dignes, c’est-à-dire jugés capables de l’exercer. Un tel privilège ainsi motivé était en accord avec la doctrine qui plaçait la souveraineté, non dans le nombre, c’est-à-dire dans la force, mais dans la raison. Philosophiquement, il n’y a rien à reprendre à cette doctrine ; politiquement, elle a le tort d’être absolue. La politique n’est pas le domaine de l’absolu. On peut dire du nombre tout le mal qu’on voudra, mais enfin il est quelque chose. Partout on décide les questions à la majorité. La quantité et la qualité sont deux catégories dont toute philosophie