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tient également compte, et dans les affaires ce n’est pas seulement à la guerre que les gros bataillons ont leur prix. Le suffrage universel fait au nombre la part aussi large qu’elle peut être faite. C’est un principe comme un autre ; quant à nous, nous le trouvons (dans la constitution comme on trouvait les 300 francs dans la charte de 1814, et nous nèfle contestons pas davantage.

Nous faisons mieux, nous le prenons du bon côté. Nous ne cherchons ni à l’éluder, ni à l’amoindrir, ni à le violenter. Nous ne le posons pas comme un principe de pure montre dont on se vante et dont on se défie, que l’on préconise en public et que l’on mine dans l’application, On peut remarquer en effet.que, nais au jour par la révolution de 1848, il a été maintenu et même développé, par une réaction qui se portait l’adversaire de cette révolution. La contradiction est frappante. Le gouvernement actuel est fondé à se prévaloir du suffrage universel comme de son principe ; cependant il est probable que parmi ses serviteurs, animés en général de l’esprit de réaction, plus d’un ne pense pas du suffrage universel autant de bien que lui. Il est probable qu’ils le subissent plus qu’ils ne l’aiment, ou qu’ils ne l’admettent en parole que pour s’en défendre dans la pratique. Et en effet la manière dont certaines gens essaient de l’employer dénote beaucoup de peur ou beaucoup de mépris.

Leur exemple a conduit les habiles à ne conserver du suffrage universel que le mot, car tel est le but, ce semble, de l’expédient des deux degrés d’élection qui reprend faveur aujourd’hui. L’expérience a trop peu justifie ce système, et une bonne organisation m’en paraît trop difficile pour qu’il me soit possible de dire si je le trouve bon ou mauvais, Au premier abord, je n’y vois qu’un moyen d’employer et d’éluder le suffrage universel. Ce m’a tout l’air d’une fiction législative, disons le mot, d’un subterfuge, pour paraître faire ce qu’on ne veut pas, et ménager ce qu’on ne respecte pas. Il faudrait me donner bien des raisons pour me faire juger excellent ce qui est si peu sincère.

Mais le suffrage universel directement donné l’est-il davantage ? On le conteste. Tout système, électoral a nécessairement ses défauts et ses dangers. Voyons donc quels sont les défauts et les dangers du nôtre.

Le principal défaut, c’est, pour avoir fait au nombre une part trop grande, le risque de la faire trop petite à la raison. Le droit de suffrage n’est plus nécessairement accompagné de l’aptitude à l’exercer. Il s’ensuit la possibilité d’élections faites sans discernement, sans intelligence, sans opinion, sans volonté. Les masses, quand elles sont calmes, peuvent exercer un droit comme on remplit une formalité. Elles peuvent voter machinalement. Elles n’échappent guère à cet inconvénient que lorsque le sang-froid les abandonne.