Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cornemuses se fit entendre, et l’on vit trois ou quatre cents soldats en tunique rouge, armés de lances ou de mousquets, l’éventail et la pipe au côté, arriver, en bon ordre et se ranger sur le rivage. Bientôt après parut le général, porté dans un palanquin sur les épaules de douze coulies. À la suite venaient les palanquins de l’état-major. Sur les flancs du cortège manœuvrait très activement une bande d’agens de police qui élargissaient le passage en repoussant la foule à coups de rotin. Le général mit pied à terre en face de la jonque, monta à bord, fut introduit par l’interprète, chargé du rôle de maître des cérémonies, dans la chambre que l’on avait disposée pour l’entrevue, s’assit, non sans avoir longuement résisté, à la place d’honneur qui lui était offerte, et commença par échanger les politesses d’usage; puis il adressa quelques questions sur les projets de l’expédition, et, pour mieux provoquer les confidences de ses hôtes, il daigna faire les siennes en exposant le plan de campagne qu’il allait exécuter très prochainement contre les rebelles du Ssé-tchouen à la tête d’un corps d’armée qui l’attendait à Quei-chow. Pendant ce temps, les Anglais versaient généreusement des verres d’eau-de-vie qui, dans la circonstance, remplaçaient les tasses de thé, et, s’il faut en croire M. Blakiston, le général et. son état-major ne tardèrent pas à se trouver quelque peu émus. A chaque rasade, les Sycks, exécutant et exagérant les ordres qu’ils avaient reçus, portaient et présentaient les armes, croisaient la baïonnette, tiraient leurs grands sabres, allaient et venaient au pas militaire en faisant à eux quatre autant de bruit qu’un bataillon, si bien que le pauvre général et ses officiers ne comprenaient absolument rien à cette parade guerrière et paraissaient même peu rassurés. La scène, telle que nous la raconte M. Blakiston avec maints enjolivemens que je néglige, était certainement très grotesque; mais on peut bien croire que si les Anglais, de complicité avec leurs soldats sycks, cherchèrent à-s’amuser aux dépens de l’état-major chinois, celui-ci ne demeura pas en reste d’observations malicieuses sur les singulières façons de ces étrangers qui se donnaient tant de mouvement à propos d’une entrevue tout amicale, où il s’agissait simplement d’échanger quelques paroles polies. M. Blakiston crut remarquer qu’à plusieurs reprises le général se pencha vers son aide de camp pour lui signaler à voix basse la superbe tenue et les vaillantes manœuvres des quatre Sycks. Qui sait? M. Blakiston n’a rien entendu et à coup sûr il n’a rien compris de ce colloque intime. Peut-être le général disait-il à ses Chinois : « Voyez donc comme ces hommes de l’Occident sont ridicules et dépourvus de civilisation ! Ils ont toujours le fusil ou le sabre au poing. Ils se figurent qu’ils nous honorent avec tout ce fracas, et en vérité ils sont très ennuyeux. Il faut cependant les excuser et leur faire bon visage,