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olympienne parmi les servitudes et les sueurs de la terre ! — Voilà, madame, voilà cette montagne merveilleuse dont Frascati occupe au nord-est une des terrasses les plus charmantes.

Allons, partons, s’il vous plaît, pour Frascati. Cette promenade ne vous ennuiera pas. Quelle variété d’aspects, quels contrastes vous attendent ! Rien, vous le savez, de plus riant que la banlieue de Rome : la ville éternelle est entourée d’une ceinture de villas où l’yeuse se marie au cyprès, de jardins fruitiers et maraîchers, de vignobles et de plantations de ces grands roseaux qui, disposés en treillages, fournissent aux ceps des appuis bien autrement sveltes et gracieux que nos tristes échalas, Cependant, à mesure que nous avançons, l’aspect devient moins riant ; les habitations sont plus rares ; bientôt tout mouvement semble suspendu, toute culture disparaît ; plus d’arbres, plus d’arbustes, le désert déploie son aridité autour de nous, et le silence croît avec la solitude. Nous voilà dans ce qu’on appelle la campagne de Rome, vaste plaine nue qui se déroule au loin comme une mer crispée et onduleuse. Devant ce spectacle d’une grandeur sévère, le moyen de ne pas rêver ! On se dit que ces lieux, aujourd’hui si morts, ont plus vécu autrefois que tout le reste de l’univers ; ces espaces muets, grande scène sans décors que l’histoire a désertée, communiquent à l’âme quelque chose de leur immensité ; on ne s’appartient plus, on devient la proie du passé, on se sent fléchir sous le poids des souvenirs et des âges, et la parole expire sur les lèvres. Ainsi pensifs et taciturnes, nous suivons, en éprouvant force cahots, une longue route caillouteuse bordée à perte de vue de fossés sans eau et de barrières en bois qui servent à tracer les limites de propriétés inhabitées ou à marquer des bornes au parcours des bestiaux. À quelques pas de Rome, un vrai steppe de la Tartarie. À de maigres pâturages en succèdent de plus maigres encore, partout un gazon court et brûlé. De noires cavales indomptées s’arrêtent pour nous regarder passer, l’œil en feu et la crinière au vent. Voyez-vous là-bas, à l’ombre de ces arcades tombantes, ce troupeau de génisses sauvages autour desquelles caracole, plus sauvage encore, un pâtre à cheval, vêtu d’une peau de mouton et armé d’une lance dont il s’escrime ? Nulle trace d’habitations, hormis une ou deux masures délabrées ; çà et là de grandes meules de paille, quelques abreuvoirs, quelques auges de pierre, un tombeau ; au sommet d’un monticule, une tour noircie, tragique débris dont un vol croassant de corbeaux déplore l’aventure, et de longues lignes d’aqueducs ruinés qui racontent au désert les empires disparus et la fuite mélancolique des siècles. O désolation, nudité étrange de ces vagues royaumes de la fièvre ! Depuis deux heures que nous cheminons, c’est à peine si, pour distraire