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colères de M. Veuillot, lui prépare quelque effroyable catastrophe ; mais il l’aura bien mérité. En vérité, la différence entre M. Veuillot et M. Proudhon n’est pas grande quelquefois ; M. Veuillot trouve que M. Proudhon parle d’or quand il dit devant l’assemblée constituante, en prenant à partie les « docteurs fossiles » de la pure morale, de la saine philosophie et de l’impérissable droit: « Se voir insulter par ces moralistes crapuleux et faussaires ! il serait moins odieux d’être souillé par tous les chiens d’une Capitale. Est-ce donc que M… est un Caton et M… un Fabricius ?… Nos magistrats sont-ils tous des Lhospital, nos généraux des Bayard, nos journalistes et nos gens de lettres d’honnêtes citoyens vivant de peu ? Cette canaille parle religion, mais je ne remarque pas qu’ils hantent les églises… » M. Veuillot parle aussi bien, si ce n’est mieux, dans un livre plus récent, où les divagations enfiévrées se mêlent à quelques pages plus heureuses sous le titre fantaisiste de Ça et Là. « Il y a une chose que vous ne savez point, vous autres savans, fait-il dire à un brave homme du peuple, c’est que la mesure est pleine contre vous, comme vous l’avez en d’autres temps remplie contre les nobles et les prêtres ; c’est que vos habits à queue de morue sont en horreur comme ont pu l’être les soutanes et les habits brodés ; c’est qu’on est las de vos écritures, de vos précepteurs, de vos enregistreurs, de vos régisseurs, de votre morgue, de vos avidités ; c’est que vous êtes des menteurs et des usurpateurs ; c’est qu’il y a bien des endroits où vous avez fait du peuple une bête irritée qui se démusellera, et qui de ses griffes et de ses dents travaillera d’étrange sorte vos papiers, vos habits et votre peau. » M. Veuillot est bien bon de trouver que M. Proudhon est grossier et sauvage, — en reconnaissant au reste la vérité de ce qu’il dit et en disant mieux.

La vérité est que M. Veuillot est au fond un révolutionnaire déclassé, dépaysé dans le catholicisme. S’il n’était le catholique forcené qu’il est, il serait simplement un démagogue ; il en a la nature, les ressentimens, le langage, l’instinct à peine contenu par le frein catholique. C’est fort heureux qu’il ait trouvé un jour son maître dans la cellule de la maison du Gesu à Rome : sans cela, il eût été socialiste de fait comme de langage ; ce qui est une particularité de son organisation personnelle, de son histoire intime, il l’érigé en théorie générale. M. Veuillot, il y a de cela quinze ans, dans le feu d’une révolution, a écrit un petit livre, un dialogue, un pamphlet qui n’est pas sans une certaine éloquence âpre, aujourd’hui un peu refroidie, et qui est le dernier mot d’une pensée que l’auteur n’a fait que délayer depuis : c’est l’Esclave Vindex. La situation est tragique. C’est pendant une nuit de la sombre et sanglante bataille de juin 1848 ; on est dans le jardin des Tuileries, à côté de ce palais vide, à deux pas des morts et des mourans, en pleine guerre civile. Au