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se servent de la plume non comme d’un couteau à scalper l’ennemi vaincu, mais comme d’une arme généreuse pour défendre la vérité, la justice et le goût outragés.

Réunissez ces traits essentiels et dominans, un certain instinct de nature démocratique perçant jusque dans le catholique, le fanatisme d’un nouveau converti, le dévergondage d’un lettré turbulent faisant sonner ses grelots pour l’église comme il les a fait sonner pour d’autres, vous approcherez de M. Veuillot, un composé assez étrange, une combinaison chimique où entrent la plupart des défauts des diverses familles morales dont il tient et aucune de leurs qualités. Du démocrate il a l’âpreté fougueuse et inquiétante, du fanatique il a l’intolérance irritée et exclusive, du lettré il a les intempérances agressives et vaniteuses. Je ne veux pas dire que M. Veuillot, à travers les inégalités et les prodigieuses lacunes d’un talent formé sous de telles influences, soit un écrivain dénué de mouvement et de couleur. Il a écrit beaucoup, il s’est essayé sous bien des formes, toujours en les méprisant. Ce n’est point sans doute comme romancier que brille M. Veuillot, bien qu’il ait fait ses tentatives dans ce genre de littérature ; il n’est arrivé qu’à écrire des nouvelles d’une fade insipidité, comme les Nattes, ou un roman équivoque, comme l’Honnête Femme, qui, en prodiguant les couleurs du réalisme le plus cru et le plus libre dans la peinture satirique des mœurs de la petite ville de Chignac, laisse un arrière-goût d’obscénité et une impression très différente de l’édification. Ce n’est point non plus comme historien que l’auteur de l’honnête Femme peut être remarqué malgré ses prétentions et ses incursions dans le genre historique ; l’histoire telle qu’il la fait est bonne tout au plus pour ceux qui ne l’ont jamais sue ou qui ne la sauront jamais : l’appareil de l’érudition cache le vide. Ce n’est pas enfin pour ses récits de voyage, pour ses descriptions et ses paysages que M. Veuillot peut être compté au rang des écrivains, bien que dans ce genre il ait des pages plus heureuses, d’une grâce énergique. En général, quand il vise à une composition sérieuse, l’auteur de Çà et Là faiblit vite sous le poids de l’œuvre qu’il a entreprise. La conception de l’art lui échappe ; il est confus, incohérent ; ses livres ne sont point des livres ; il ne va pas même jusqu’à l’essai.

Ce qu’est M. Veuillot dans la mesure de son organisation d’affranchi, avec ces caractères et ces entraînemens que je signalais, ce qu’il est naturellement et réellement, c’est un polémiste, un journaliste, un pamphlétaire fougueux pour mieux dire, se servant d’un journal, Avec ses douze volumes de Mélanges qui constituent un des fatras les plus caractérisés de notre temps r on ferait, je crois bien, deux volumes qui ne laisseraient pas d’avoir leur valeur comme spécimen d’un talent fait pour la lutte à outrance contre toutes les