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Il a eu visiblement une ambition au-dessus de sa taille de pamphlétaire, et il a trouvé la récompense qu’il méritait, Je ne parle plus de la moralité de cette entreprise : je ne discute ni les événemens, ni les incidens, ni une question de religion ou de parti ; mais n’y a-t-il pas comme un châtiment dans cette confusion où est tombé M. Veuillot, partagé entre une passion invincible et la déception ?

Le voici en effet, un jour de la fin de 1858, présentant aux populations bretonnes l’empereur comme un autre Charlemagne, remplaçant lui-même ses missi dominici, allant écouter le bon peuple, faisant « son grand et salutaire métier de roi, » redressant les torts, prononçant des discours. « Nous voici loin des harangues du roi parlementaire ! » Soit, mais laissez passer quelques mois ; la guerre d’Italie est venue et laisse déjà entrevoir quelques-unes de ses conséquences : à qui donc s’adressent ces portraits de Pilate, de Julien l’Apostat, qui « était allé guerroyer chez les Perses afin de paraître aussi grand guerrier qu’il s’estimait grand philosophe, » dont le fils du charpentier prend déjà la mesure, « qui a perfectionné toutes les anciennes méthodes » des ennemis de l’église ? « Jusqu’alors on n’avait su qu’égorger ; Julien était baptisé, il sut trahir. Ce fut un maître. Dieu lui laissa deux ans ; d’autres ont eu dix ans… » Et tout cela pour l’affranchissement d’un peuple ! M. Veuillot ne voit pas que le Charlemagne de la veille détruit le Julien l’Apostat ou le Pilate du lendemain, ou plutôt dans les deux cas il fait une image, et l’irritation d’aujourd’hui est le châtiment de l’adulation d’hier. D’un autre côtés M. Veuillot, homme de la littérature et de la presse, né s’est point aperçu qu’en livrant si facilement le droit des, autres, il livrait son propre droit, et, qu’en s’isolant dans la majesté burlesque de ses dédains pour la plume, il risquait de voir quelque jour le ridicule s’ajouter à la défaite. Certes nul ne s’est déclaré plus satisfait de la loi qui régit encore la presse. C’est auprès de M. Veuillot qu’on écrivait : Rien de mieux ; l’avertissement et la suppression, c’est la législation de l’église. — Fort bien en effet ! Le peuple s’inquiète peu de la liberté « des docteurs, des importans et de la populace des villes ; » il ne tient pas au droit de tout dire, « à la criée des journaux au coin des rues ; » la suppression, c’est la législation de l’église, — et l’Univers est supprimé ! Je ne dis pas assurément qu’on ait bien fait et qu’on n’eût dû respecter la liberté, même dans ses audaces quelquefois étranges ; mais M. Veuillot est le dernier qui ait le droit de se plaindre. Il lui reste la ressource d’écrire le Parfum de Rome ou de faire des vers. »

Ce qu’il y a de redoutable et d’irrémédiable dans cette carrière qui se précipite d’elle-même, de parti-pris, vers la destruction, c’est que M. Veuillot, blessé, évincé des luttes quotidiennes, ne