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des masses de plusieurs centaines de kilos. On ne compte pas dix explosions de locomotives depuis l’origine des chemins de fer, et presque toutes ont été produites par des vices de construction ou des imprudences manifestes. D’où vient dans l’emploi de la plus brutale des machines à vapeur cette sécurité relative? De la loi qu’on s’est imposée de ne la faire travailler qu’en ménageant ses forces, de ne jamais attendre qu’elle succombât à la fatigue, de l’entretenir toujours en bon état, grâce aux chômages périodiques pendant lesquels elle rentre en réfection.

La détermination de ces chômages est un des points les plus délicats de la science de l’exploitation des chemins de fer : d’abord elle dépend des circonstances locales et doit varier avec elles; ensuite il y a beaucoup de degrés entre le délabrement et l’usure acceptable. Si l’on approche trop du premier, la réparation est dispendieuse et peut équivaloir à une reconstruction totale. Si les machines chôment trop tôt, la perte des services qu’elles pourraient rendre encore nécessite un trop grand nombre de machines supplémentaires. Il y a donc tendance à prolonger le service autant que possible. De 12,000 kilomètres qu’il atteignait à peine à l’origine, le parcours moyen des locomotives s’est élevé à 25,000 et même à 30,000 kilomètres, grâce aux progrès de toute nature qui ont été réalisés sans rien ôter aux conditions de sécurité et d’économie. Il est manifeste que les accidens imputables au matériel sont de plus en plus rares; quant à l’économie, il suffira de dire que, suri franc environ que coûte la traction par kilomètre, on compte au plus 35 centimes pour l’entretien de la locomotive et du tender.

Telles sont les mesures administratives par lesquelles un directeur maintient, relativement à peu de frais, son matériel en bon état permanent, et prévient le danger du délabrement. Ces mesures ont besoin d’être complétées dans le service actif. Prenons encore ici les locomotives pour exemple. A chacune d’elles sont attachés deux employés qui la suivent et la connaissent à fond : ce sont le mécanicien et son chauffeur ou plutôt son aide, son compagnon, un mécanicien en second, qui deviendra chef à son tour. Ce sont des hommes choisis, robustes, doués de sang-froid et de courage, d’initiative et de résolution, d’une bonne vue pour plonger au loin sur la voie, d’une oreille fine pour saisir le claquement des articulations détraquées, d’un odorat délicat pour sentir la graisse brûlée entre les parties frottantes qui chauffent, grippent, se détruisent et menacent de rompre. Cette classe d’hommes est vraiment intéressante. Nous parlions de leur courage. Que de fois nous les avons vus affronter le péril pour sauver leur train et rester à leur poste avec la perspective de la mort! Quel dur métier est le leur aux jours de pluie, de neige, de grand froid et même en été,