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Héraklé. Tu n’as pas l’air gai aujourd’hui. Ah! ah! te voilà les mains vides comme la bourse d’un prince de Kakhétie! — Comme le rancuneux Mingrélien gardait encore le silence, il continua à le railler.

— Veux-tu à ton tour être mon domestique? Eh! ces deux petits enclos, que tu as eu la bonté de soigner pendant un an, regarde, sont-ils gentils, pleins de verdure, de fleurs, de fruits, de pastèques qui font venir l’eau à la bouche!

Martha avait fui dans l’intérieur de la cabane, où elle s’était enfermée.

— Écoute, petit père, continua malicieusement le fils de Nicolaos; causons sérieusement, sans nous fâcher, en bons amis. Tu le sais, j’aime ta fille, et mon amour pour elle te sauve de la pauvreté.

— Que signifie?...

— Je garde l’héritage paternel; toi, reprends ton domaine et ta maison, et donne-moi Martha.

La petite porte de la sakli s’entr’ouvrit doucement. Un éclair de joie illumina soudain le visage de Mikaël, qui appela à haute voix :

— Martha! — Alors la porte s’ouvrit toute grande, et la fille de Mikaël tomba dans les bras d’Héraklé.

Au fond de l’âme, Mikaël avait bien quelque regret du dénoûment de cette aventure, mais il refoula sa mauvaise humeur et tendit amicalement la main à son gendre.

— Martha, dit-il, pour fêter cette heureuse journée, cours chercher une cruche de vin. — La jeune fille, le visage joyeux, revint, et pendant que les ennemis réconciliés buvaient à petites gorgées le vin de Kakhétie, elle chanta d’une voix émue cette chanson indigène :


LES TROIS CAVALIERS.

« Samila a vu quinze fois mûrir les pommes; elle est belle comme une rose qui s’entr’ouvre à l’aurore.

« Tous les jeunes seigneurs des environs la voulaient pour épousée; mais le père farouche jura qu’elle n’aurait point d’époux.

« Il l’enferma, la belle fille, dans la plus haute tour de son château, bâti sur une montagne inaccessible, au-dessus d’un roc escarpé.

« Le jour, la nuit, Samila pleurait, pleurait, et elle regardait par une étroite fenêtre si on ne venait pas la délivrer.

« Elle passait sa main à travers les barreaux de fer et agitait dans l’air son voile blanc, humide de larmes.

« Un matin passa un cavalier monté sur un cheval noir, plus agile qu’un léopard, et qui s’appelait Simdidré (en langue géorgienne richesse).

« Il enfonça l’éperon d’argent dans ses flancs, et le cheval sauta jusqu’à la première fenêtre de la tour.

« Le lendemain survint un autre cavalier qui galopait sur un cheval gris, nommé Simchveniéré (beauté).