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plutôt consolider l’ordre européen. Au contraire, la nécessité de la guerre étant démontrée, si, au lieu de l’affronter, on aimé mieux sacrifier la Pologne, de quelle valeur sera la paix que l’on aura conservée ainsi ? On laissera le monde se repaître du spectacle le plus démoralisant, on laissera triompher en Pologne sur le patriotisme blessé à mort l’arbitraire effréné et la révolution sociale, on aura ranimé toutes les ambitions de la Russie et relevé son prestige, on aura restitué à la cour de Pétersbourg sa prépondérance sûr Vienne et Berlin, on aura affiché entre l’Angleterre et la France des divergences graves qui nourriront au cœur de notre pays d’amers ressentimens : objet de toutes les défiances et justement blessée, la France retombera dans un isolement chagrin. Y aurait-il une paix plus précaire, environnée de plus de périls que celle-là ? Les conservateurs qui désirent une telle paix croient-ils qu’ils y trouveraient la sécurité, et que les difficultés dont elle serait remplie ne leur ouvriraient pas les yeux, mais trop tard ? Il ne devrait point y avoir en France de conservateurs de cette nature. Nous ne pouvons malheureusement nous dissimuler qu’il en existe un trop grand nombre en Angleterre. Il serait puéril de feindre d’ignorer les motifs de l’inconséquence prodigieuse dont les Anglais vont nous donner le spectacle, si l’on en juge par les discours qui ont été prononcés hier soir à la chambre des lords à propos de la motion de lord Grey. Si lord Russell devait si tôt déclarer que l’Angleterre ne veut pas faire la guerre pour la Pologne, sa dépêche devient un colossal contre-sens. Il faut que le noble lord soit doué d’une merveilleuse confiance dans son talent de persuasion, s’il pense réellement que la cause de la Pologne ne peut être gagnée que par la raison, et s’il se croit de force à faire entendre raison aux politiques de l’école de Mouravief. Nous ne pouvons voir dans cet amour de la politique de la raison qui s’est emparé de lord Grey, de lord Russell et de lord Derby, qu’un fonds de défiance pour la politique de la France. C’est le fruit de la brusquerie que nous avons mise à terminer la guerre d’Orient, de nos coquetteries imprévoyantes avec la Russie, et de l’annexion de la Savoie. Les Anglais ne veulent plus croire que le gouvernement français puisse faire la guerre pour une idée. Nous avions prévu ces rancunes, nous avions prévu les difficultés qu’elles feraient naître le jour où nous aurions besoin du concours de l’Angleterre pour soutenir une grande cause libérale dans le monde, et nous n’avions pas craint de blâmer en temps opportun des actes qui nous susciteront encore plus d’un embarras. Un personnage devenu ridicule, M. Roebuck, qui a réalisé dans sa carrière la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf, s’est figuré l’autre jour qu’il allait réunir la France et l’Angleterre dans une même action politique en divulguant très indiscrètement une conversation qu’il aurait eue avec l’empereur, et de laquelle il résulterait que le gouvernement français serait prêt à s’unir à l’Angleterre pour reconnaître les états confédérés. Certes, si les Anglais ont en ce moment une passion de monomane, c’est la haine des États-Unis et l’amour des confédérés. Les avances que M. Roebuck