Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans leur affection respective des différences essentielles dont il est bon de tenir compte. Rompu aux déceptions de la vie, ayant traversé l’eau et le feu des événemens, élevé dès l’enfance pour les complications supérieures d’une politique à outrance, Flavio n’avait point cette mièvrerie de sentimens si agréable aux femmes, et qui le plus souvent cache la vacuité du cœur. C’était un homme solide dans toute l’acception du terme; il lui suffisait de s’être donné sans réserve, il n’éprouvait pas le besoin de le répéter chaque jour. Il était l’amant de Sylverine, cela est vrai, son amant inaltérable et dévoué «jusqu’au-delà; » mais, grâce à l’excessive maturité de sa nature, il était aussi son père, et se sentait pour elle des indulgences sans égales. Il lui eût tout pardonné, même une trahison, car il savait que la femme est une créature fragile, et il comprenait que la liberté de soi-même est la liberté la plus sacrée qui existe. — Je ne te demande qu’une chose, disait-il à Sylverine, c’est de ne point me faire de mensonge : ne me trompe jamais, je suis de force à entendre toutes les vérités. — Bah! lui répondait-elle en riant, tu parles comme un vieux mari. — Et en effet elle le considérait un peu comme tel. Elle ne l’en aimait pas moins; elle était intelligente, et avait vite compris à quelle âme supérieure elle avait affaire. Elle s’était plu aux dangers de cette vie toujours en suspens dont elle connaissait le secret; elle s’associait aux idées de Flavio, qui lui racontait ses pensées les plus cachées, et une fois même, en Sicile, elle s’était associée à ses périls pendant une insurrection qui fut vite comprimée. Elle traversa près de lui les montagnes à pied, sans se plaindre, ayant oublié la faiblesse de son sexe, couchant sur la terre nue, cherchant un refuge dans les huttes de pâtres à demi sauvages, et jouant son rôle d’héroïne avec une simplicité qui fit l’admiration de ceux qui la virent; mais autant elle était invincible et résolue en face d’un péril, autant elle était flottante vis-à-vis d’elle-même. Elle avait des alanguissemens singuliers, des rêveries sans fin, des énervemens subits, d’inexplicables abondances de larmes. Ce n’était point une virago, comme on pourrait le croire après de telles aventures; c’était une femme souffrant de toutes les misères féminines et s’y abandonnant sans courage. Dans le secret d’elle-même, elle savait que son cœur était dévoré par des besoins de tendresse que rien ne pourrait satisfaire. L’émotion, quelle qu’elle fût, avait pour elle un attrait qu’elle ne savait vaincre; elle était toute expansion et emportement. Étant petite fille, elle cueillait d’énormes bouquets et disait : « C’est pour mon amant! » Un jour, elle avait dix-sept ans, devant le ciel constellé, quelqu’un lui parlait d’astronomie; elle n’écoutait guère et demeurait rêveuse. On la gronda : « L’astronomie est une science utile, » lui dit-on. Elle secoua la tête et répondit : « Il n’y a d’utile que ce qui sert à aimer! »