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prochaine de son ami, et Sylverine elle-même, qui avait tant entendu parler de Jean, l’attendait avec impatience, comme toute femme attend une diversion quelconque à sa vie ordinaire. « Lorsque Jean sera ici » était devenu la phrase sacramentelle des deux amans ; tout semblait suspendu à cette arrivée si vivement espérée. Sylverine ne l’avait jamais vu, mais elle se le figurait à sa façon, prétendait le connaître beaucoup mieux que Flavio, et répondait à ce dernier, lorsqu’il voulait rectifier ses idées à ce sujet : — Laisse-moi, je suis certaine de ne m’être point trompée.

Un soir enfin que Flavio était chez Sylverine, on entendit des pas qui montaient rapidement l’escalier ; presque aussitôt la porte s’ouvrit avec fracas, et Jean se jeta dans les bras de son ami. Il tendit fraternellement la main à Sylverine, puis il se mit à parler avec une volubilité qui ne ressemblait guère au calme habituel de Flavio. Sylverine regardait le nouveau-venu ; il n’était point tel qu’elle se l’était représenté : au lieu de cet homme absorbé, sérieux, un peu farouche même, qu’elle s’était figuré, elle voyait un jeune homme de vingt-cinq ans environ, blond, de petite taille, fort élégant de tournure, montrant avec complaisance des mains féminines, et laissant éclater sur ses lèvres, un peu trop rouges, une ironie que semblait démentir l’extrême douceur de ses yeux bleus. Son attitude vis-à-vis de Flavio était celle d’un enfant gâté ; c’était une sorte de respect craintif, mêlé de résistance et de câlineries. Il lui disait dans la même minute : — Ne me gronde pas ! va-t’en au diable ! Voyons, ne fais pas tes gros yeux ; tu sais bien qu’en somme je finis toujours par t’obéir ! — Il y avait en lui comme une exubérance de vie qu’il comprimait en vain et qui s’échappait malgré ses efforts. Il accumulait questions sur questions : — Que fait-on ici ? S’amuse-t-on ? As-tu des chevaux ? Donne-t-on des bals ? Y a-t-il un théâtre ? Les femmes sont-elles jolies ? Où va-t-on le soir ? Le légat a-t-il une maîtresse ? Peut-on chasser dans les environs ?

Sylverine l’écoutait, un peu ahurie par ce flot de paroles auquel elle n’était point accoutumée. — Au moins, il est en vie, celui-là, se disait-elle. Flavio lui-même semblait désorienté par tant de pétulance. — C’est pourtant moi, dit-il, qui ai élevé cet étourdi-là. — Tu en as l’air étonné, lui répondit Sylverine, comme une poule qui a couvé un canard. — On ne se quitta que fort tard dans la nuit, car on avait eu bien des choses à se raconter. — Comment le trouves-tu ? dit Flavio à Sylverine. — Il est charmant, répondit-elle. Il fit la même question à Jean touchant Sylverine. — Ma foi, je n’en sais rien, répondit Jean, je l’ai à peine regardée. — Il mentait, car il l’avait regardée et considérée même avec beaucoup d’attention ; en effet, il avait ce don singulier qu’il devait à sa double nature d’Ita-