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On peut croire que Sylverine, qui aimait ces deux hommes et qui du reste ne voyait point très clair dans son cœur, sinon qu’il était malade et curieux de choses troublées, obéissait au double instinct dominant des femmes, la fragilité et la perfidie, et qu’elle sut vite mettre en action le précepte : « il faut promptement boire les mauvaises hontes; » mais pour Jean, accoutumé à la loyauté d’une vie où le sacrifice avait la plus grande part, il faut penser qu’il ne se résigna pas sans combats intérieurs au triste rôle qui lui était réservé. Il y aurait eu une certaine grandeur à aller trouver Flavio et à lui dire : — J’aime ta maîtresse! Que veux-tu faire de nous? — Mais Jean eut peur de son ami, il craignait d’avoir à rougir devant lui : lui seul pouvait savoir combien il était ingrat, et plutôt que d’avoir à faire un aveu qui coûtait autant à son orgueil qu’à son cœur, il préféra entrer dans le labyrinthe d’une intrigue où il allait être réduit à des ruses indignes de lui pour tromper l’homme sous le toit duquel il habitait, et qui lui avait ouvert avec une si grande confiance la porte de Sylverine. Jean, malgré les révoltes de sa conscience, qui regimbait haut, se résigna donc à jouer ce triste personnage, qui de jour en jour allait devenir plus difficile à soutenir.

En effet, l’amour de Jean pour Sylverine n’était point un caprice vite satisfait et s’apaisant de lui-même : la possession ne fit que l’exagérer, et il devint bientôt une passion ardente, passion exclusive, tyrannique, qui grandissait en raison directe des obstacles, et ne supportait plus qu’avec une peine infinie et des efforts sans cesse renouvelés la contrainte qu’elle s’était d’abord imposée. Ce n’était plus Flavio que maintenant redoutait Sylverine, c’était Jean, car il en était arrivé à un état de jalousie qui voulait briser toute réserve et enfreindre toute retenue.

— Tu me feras prendre Flavio en horreur! disait-il à Sylverine.

— Hélas! répliquait-elle presque en pleurant, c’est lui que je trompe pour toi et non pas toi que je trompe pour lui. Ne l’as-tu pas voulu toi-même?

— Eh! que m’importe? Si ce n’était que ton mari, je le supporterais, car j’y serais forcé; mais c’est ton amant, celui de nous deux peut-être que tu préfères, et je suis en droit d’exiger que tu rompes absolument avec lui.

Il était loin, comme on le voit, du temps où, pour s’excuser lui-même à ses propres yeux, il se disait : — Flavio n’est plus que son mari ! — Morale fort singulière du reste, et qui tendrait à prouver que beaucoup d’hommes ne veulent respecter que la foi élective, en admettant qu’en pareille matière la passion respecte jamais quelque chose.

— J’irai le trouver, reprenait Jean, je lui dirai tout, et puis à la grâce de Dieu !