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Quand l’aube se leva, pâle et froide, sur la campagne humide, elle éclaira Flavio debout contre un arbre et regardant la mer ; les flots déferlaient et gémissaient sur la grève. Je ne sais pourquoi ce mouvement toujours répété et ce bruit toujours semblable l’irritèrent. — brutales et perfides, cria-t-il en jetant un caillou contre les vagues, pourquoi donc vous plaignez-vous sans cesse, puisque vous avez la force aveugle à laquelle rien ne résiste’?

Cette nuit d’angoisses et de contradictions, nuit plus terrible que celle de Jacob, car Flavio eut à lutter contre ses bons et contre ses mauvais anges, épura encore son cœur déjà si pur, et il se retrempa dans cette douleur. Ce ne fut pas sans un grand déchirement qu’il prit sa résolution, mais enfin il la prit et s’y tint.

— Allons, se dit-il, au lieu d’un ami et d’une maîtresse, je n’aurai plus que deux amis.

Il imitait en cela certains maris, dévoués parfois jusqu’au martyre, qui cachent tout affront, subissent toute contrainte, acceptent d’être aveugles malgré l’évidence, afin de toujours couvrir de leur protection la femme qu’ils ont aimée et que peut-être ils aiment encore.

Lorsqu’ils se retrouvèrent tous les trois, le visage de Flavio avait repris son impassibilité habituelle, et Sylverine, malgré son inquiétude, n’y lut rien qui pût l’éclairer. — Je t’ai appelée cette nuit, lui dit-il ; mais tu ne m’as pas entendu. — Elle n’était point rassurée cependant. Flavio était-il aussi ignorant qu’il voulait bien le paraître ? Elle n’y croyait guère. Que se passait-il donc dans son cœur ? Une défaillance d’amour, un excès de générosité ?… Elle n’en savait rien. En tout cas, elle eût préféré des reproches et se sentait mal à l’aise en face de ce sphinx qui ne disait point le mot de son énigme.

Il y eut dès ce jour cependant un certain changement dans les façons d’être de Flavio ; il allait moins souvent chez Sylverine, et parfois même le soir il ne paraissait pas chez elle à l’heure où d’habitude il s’y réunissait avec Jean. — Qu’as-tu donc, cher Flavio ? lui disait-elle. On ne te voit plus ?

— J’ai beaucoup à travailler en ce moment, lui répondait-il.

Elle s’étonnait, elle s’affligeait de sa réserve devenue excessive ; il n’était plus qu’un ami pour elle, et elle s’en irritait comme d’une trahison ; elle était ballottée entre deux courans contraires, et ne savait où prendre pied. Par momens elle se disait : « Que lui ai-je donc fait, et pourquoi ne m’aime-t-il plus ? » D’autres fois au contraire, se reconnaissant coupable au premier chef, regardant jusqu’au fond de sa faute et comprenant tout ce que son crime avait d’odieux, elle se répétait : « Pourquoi me plaindre ? N’a-t-il pas le droit de