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comme une mère caresse son fils malade, lui parla doucement pour le calmer et l’attendrir. Jean se dégagea de son étreinte par un mouvement brusque, et levant vers lui son visage éclatant de fureur : — Ah ! lui dit-il, tu es mon mauvais génie ; c’est toi qui m’as jeté dans les impasses d’une politique impossible, et la seule femme que je puisse aimer, c’est toi qui l’aimes.

Flavio eut un geste de pitié ineffable. — Pauvre petit ! dit-il, comme tu dois souffrir pour être si injuste ! Je te plains du fond de mon âme.

— Eh ! je ne veux pas de ta commisération ! répliqua l’indomptable jeune homme avec emportement.

Ses larmes étaient séchées ; la fureur reprit le dessus ; il accabla Flavio de reproches, il entassa sottises sur sottises. Ce qu’il disait, il n’en avait guère conscience ; il en arrivait aux injures et à la grossièreté. Flavio le regardait et se désolait de voir un esprit de cette trempe s’oublier à ce point et se déshonorer de la sorte. Il lui prit les mains, et, tournant vers lui son calme visage, il lui dit :

— Apaise-toi donc, jeune volcan, et ne prends pas tes colères pour de la force ; nous sommes deux hommes, ne l’oublie pas, laisse toutes ces violences aux enfans maladifs. Pourquoi viens-tu m’accabler ainsi, et que veux-tu de moi ?

— Je veux en finir, une fois pour toutes, d’une manière ou de l’autre, s’écria Jean, car je ne peux plus vivre dans de telles angoisses ; l’un de nous est de trop sous le ciel ; allons au bord de la mer, battons-nous jusqu’à ce que mort s’ensuive : Sylverine sera le prix du vainqueur.

— Tudieu ! répondit Flavio avec un sourire, quel chevalier errant ! Tu oublies que les temps de l’Arioste sont passés ! — Puis tous les traits de son visage s’affaissèrent dans une expression de tristesse infinie, et il ajouta : — Et tu oublies surtout que le survivant mourrait de la douleur d’avoir tué son ami ! Tu oublies bien autre chose encore, mon pauvre Jean, tu oublies que nous ne nous appartenons pas et que nous n’avons pas le droit de disposer arbitrairement de notre vie. Tu oublies notre vieille amitié, je le comprends, car la passion t’a fait perdre la tête ; mais souviens-toi du serment que tu as juré en communiant par les cendres et par le sang !

Jean poussait des cris de désespoir ; son cœur était comme un champ de bataille où se heurtent trois armées de forces égales ; il était brisé par de si puissantes émotions. — Aie pitié de moi, dit-il à Flavio, je n’en puis plus !

Il y eut un long silence. Flavio marchait de long en large dans la chambre, et Jean, affaissé sur un canapé, la tête cachée dans les