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t’es donné à une abstraction, et la femme, qui est un être essentiellement relatif, ne peut la comprendre, nous sommes des solitaires, la compagnie des femmes est mauvaise pour nous, ne l’oublie jamais. Vois où cette créature dont tu es fou vous a conduits tous les deux. Te voilà, toi, notre homme d’action par excellence, notre porte-glaive, devenu plus débile qu’un vieux prêtre qui a peur de l’enfer; voilà Flavio, notre lumière la plus vive, notre projection de pensée la plus lointaine, qui s’étiole, s’obscurcit et s’en va, sans pouvoir se reconnaître au milieu de ses idées troublées. Faudra-t-il donc, comme aux enfans, vous faire épeler la Bible et vous faire réciter chaque soir, avant de vous coucher, l’histoire de Samson et de Dalila? Morbleu! soyez des hommes! Vous n’êtes faits pour être ni des maris ni des amans! Amusez-vous, si cela vous plaît, mais, par le ciel! ne donnez rien de votre cœur, rien de votre cerveau, à ces êtres inférieurs et sensuels qui prennent un homme comme un singe prend une noix, et le rejettent après l’avoir dévoré! Manou a dit: « Dieu a donné aux femmes l’amour de leur lit, de leur siège et de la parure, la concupiscence, la colère, les mauvais penchans, le désir de mal faire et la perversité, » et il a eu raison. Savez-vous à qui vous ressemblez avec vos tristes amourettes? Vous ressemblez à ces dompteurs de lions qui se laissent manger benoîtement par la bête féroce. Soyez chastes, si vous voulez être forts, ou du moins soyez assez forts pour savoir être chastes. Notre œuvre est une œuvre de justice. Rappelez-vous ce mot du philosophe : « La femme est la désolation du juste! »

— Tu as tort, Samla, dit Flavio de sa voix grave. La femme dont tu parles n’a point le cœur faible : elle m’a suivi autrefois en Sicile, et elle est très capable de suivre Jean dans les Calabres.

— Ah! c’est une Clorinde alors? reprit Samla en faisant un geste dédaigneux qui se perdit dans l’obscurité. Soit : elle a toutes les vertus et tous les charmes, j’en conviendrai, si vous le voulez; mais elle n’en est pas moins un danger pour vous deux, et vous savez que nous avons l’habitude de ne point laisser les obstacles sur notre route. Elle vous a brouillés, ce qui est déjà un crime; sachez l’empêcher d’en commettre un autre. Il faut que l’insurrection des Calabres ait un chef. Jean est désigné. Qu’il parte. C’est pourtant cette femme qui s’y oppose !

— Comment s’y opposerait-elle? dit Jean : elle ignore absolument notre projet.

— Alors, répliqua l’inflexible Samla, c’est toi qui refuses de partir à cause d’elle, ce qui revient au même. De toute manière, elle est l’obstacle. Réconciliez-vous, il le faut: donnez-vous le baiser de paix. Jean, il est nécessaire que Flavio te mette au courant de toute