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Il lui raconta tout, leurs luttes, la visite de Samla, leur résolution dernière, le départ de Flavio. Il pleurait. — Ah! je ne le sais que trop, disait-il, je ne mérite ni pitié, ni pardon; mais tu m’as rendu fou, et pour l’amour de toi je ne sais quel crime je ne commettrais pas!

— On dit qu’il est battu, qu’il est pris! s’écria Sylverine; notre poste est là où il souffre; c’est notre Flavio, il faut le sauver... Tous ces bruits doivent être exagérés. Qui sait la vérité dans ce pays de mensonge’? Partons vite, peut-être est-il temps encore.

— Oui, partons, et dussé-je y périr, nous irons jusqu’à lui. Dans une heure je suis prêt; allons droit à Livourne, là j’aurai vite un bateau qui nous mènera directement à Pola : c’est le plus court et le plus sûr.

— Si nous ne le sauvons pas, reprit Sylverine, Jean, écoute bien mes paroles, je ne te re verrai de ma vie.

Ils allaient se séparer pour hâter leur départ, lorsqu’ils entendirent heurter à la porte. Jean ouvrit et se trouva face à face avec un homme vêtu en matelot.

— Jean Scoglio? dit l’homme.

— C’est moi, répondit Jean.

O difesa di Dio ! dit l’homme à voix basse.

Perche pur giaci? répondit Jean, et, se tournant vers Sylverine, il s’écria : — Des nouvelles de Flavio!

L’homme enleva lestement un de ses gros souliers, fit sauter la semelle à l’aide d’un couteau, en tira un papier scellé placé sous l’empeigne, et le tendit à Jean.

Jean brisa le cachet. L’enveloppe contenait une lettre pour Sylverine et un billet pour Jean. Le billet n’avait que trois mots : « Tout est perdu. » Il y eut un moment de stupeur. Jean et Sylverine se regardaient sans oser se parler. L’homme s’était assis et essayait paisiblement de raccommoder son soulier.

— Lis donc vite! s’écria Jean, qui le premier revint à lui.

Instinctivement Sylverine regarda du côté de l’inconnu, qui surprit ce geste de défiance.

— Ah! que je ne vous gêne pas! dit-il; il n’y a pas plus de huit jours que j’étais encore aide-porte-clés à la prison de Cosenza; je connais toute l’histoire, vous pouvez en parler devant moi.

Sylverine ouvrit la lettre de Flavio, et voici ce qu’elle lut : « Je t’ai trompée; me le pardonneras-tu, ma fille chérie? Jean te racontera notre triste histoire, et tu verras que je n’ai pu faire autrement que de te cacher le but de mon voyage. Je connaissais trop la vaillance de ton cœur, je sais que tu m’aurais accompagné, si tu avais su vers quelle destinée je marchais. Cela ne pouvait être. Tu