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« Je voudrais bien t’embrasser, te serrer une fois encore, avant de mourir, sur ce cœur qui t’adorait. Cela ne se peut : que la volonté de Dieu soit faite ! Si pendant les heureuses années que j’ai vécu près de toi je t’ai fait quelque peine, pardonne-le-moi, et garde-moi le souvenir qu’on doit à ceux qui ont beaucoup aimé. Tu sais bien que je mourrai avec ton nom sur les lèvres. Adieu, Jean; adieu, Sylverine; soyez heureux, et n’oubliez pas

« Votre FLAVIO. »


Le visage baigné de larmes, Sylverine se tourna vers l’homme. — Dis-moi tout, je veux tout savoir, lui dit-elle.

— Que vous apprendrai-je? répondit-il. Quand je suis parti, il n’était pas encore condamné; la sentence devait être prononcée le lendemain ou le surlendemain. Ah! c’est un grand cœur! à la fin, les juges osaient à peine lui parler.

— Mais si tout n’est pas fini, s’écria Sylverine, il y a peut-être encore de l’espoir. Ah! mon Dieu! être si loin! Nous pouvons peut-être le sauver.

L’homme secoua la tête. — Une fois le jugement prononcé, on enverra sans doute la procédure à Naples. Dans ce cas, il se passera quelques jours avant que la sentence soit exécutée; mais comment le sauver? Croyez-vous pas qu’ils lâcheront jamais une proie pareille?

— Qu’importe? reprit Sylverine. J’irai à Naples; je suis femme, on me laissera entrer partout. J’irai chez le roi, je me jetterai à ses pieds. Jean, il faut partir, tout de suite, à l’instant !

— Partons, répondit Jean d’une voix si étouffée qu’on l’entendit à peine, et si le roi te refuse sa grâce, je l’enverrai demander sa propre grâce à Dieu.

Une heure après, ils roulaient à grande vitesse sur la route qui va de Ravenne à Livourne en passant par Florence. Ils ne se parlaient pas. Enfoncé dans un coin de la voiture, chacun s’absorbait dans ses pensées. Sylverine pleurait et parfois poussait un cri en se tordant les mains; Jean, silencieux et farouche, ressemblait à un lion enchaîné. Une fois ou deux il entra en fureur contre les postillons, qui pourtant n’en pouvaient mais, et fouettaient leurs chevaux à tour de bras. Ils arrivèrent à Livourne, ville maritime en relations perpétuelles avec les autres ports de l’Italie, toujours ouverte aux idées d’émancipation et écoutant d’une oreille avide les bruits révolutionnaires qui peuvent venir des autres pays. Là aucun doute ne put leur rester. Flavio était mort. La sentence de la cour martiale avait été exécutée dans les vingt-quatre heures. Couvert du drap noir des parricides, la tête voilée d’un crêpe, les mains atta-