Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jean prit la lettre et l’ouvrit en tremblant, car il avait vite reconnu l’écriture de Sylverine. Elle ne contenait qu’une ligne qui semblait tracée par une main défaillante : « Je suis à Pise, je vais mourir, et je voudrais te revoir. »

Jean ne fut point long à se rendre à Pise; il courut chez Sylverine; quand il l’aperçut, il recula d’épouvante; elle n’était plus, comme l’on dit, que l’ombre d’elle-même. Ses yeux enfoncés, cernés de teintes violettes, semblaient flotter dans les orbites trop grandes; les tempes transparentes laissaient apercevoir le sang des veines violettes, une pâleur mate et profonde donnait à son visage une blancheur de cire ; ses lèvres amincies s’ouvraient avec peine et découvraient des gencives décolorées; ses mains sèches et longues avaient des gestes vagues d’une incomparable douceur. Elle avait dit vrai, elle allait mourir; elle s’éteignait, lucide et sans souffrance, épuisée par une de ces maladies mystérieuses où l’âme et le corps réagissent l’un sur l’autre, et qui ont pour siège ordinaire le foie ou l’estomac. Un médecin aurait dit : Elle meurt d’une dyspepsie; un philosophe aurait dit : Elle meurt de chagrin; ni l’un ni l’autre ne se seraient trompés.

Un pâle sourire éclaira son visage, une nuance rose et fugitive passa sur ses joues amaigries quand elle vit entrer Jean. — Je suis heureuse de te revoir, lui dit-elle, je n’aurais point voulu m’en aller vers Flavio sans t’avoir encore une fois serré la main.

Ses heures étaient comptées; chacune d’elles, en s’écoulant, augmentait sa faiblesse et amincissait pour ainsi dire le dernier fil où sa vie était suspendue. Jean ne la quitta pas ; il s’établit près d’elle, tendre, empressé, désespéré, devenu féminin pour mieux la soigner, et regardant avec épouvante les progrès rapides que le mal faisait de jour en jour. Du reste, elle ne souffrait guère; l’âme semblait quitter peu à peu un corps épuisé. Ils parlaient peu, mais toujours de Flavio. Elle aimait à se rappeler les premiers temps où elle avait connu ce mort si regretté : elle se sentait si près de la mort qu’elle se croyait vieille; parfois elle disait à Jean : — Te souviens-tu, quand nous étions jeunes?

Souvent elle restait de longues heures immobile, silencieuse, les yeux clos, la tête renversée, faisant entendre une sorte de plainte machinale qui remuait le cœur de Jean. Bientôt il lui fut impossible de se lever. La mort venait impassiblement, poursuivant sans relâche et presque régulièrement sa tâche de destruction. Un jour elle sentit une pluie tiède qui tombait sur son front; elle leva les yeux avec effort, et aperçut Jean qui, debout derrière son lit, pleurait en la regardant mourir. Elle n’eut point de convulsion, point d’agonie, point de ces combats terribles où la vie et la mort sem-