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des prêtres et par des juges que vous avez été assassiné si cruellement ? — Il me répondit oui. — Et qui étaient donc ces monstres ? — C’étaient des hypocrites… — Vous voulûtes donc leur enseigner une nouvelle religion ? — Point du tout, je leur disais simplement : Aimez Dieu de tout votre cœur et votre prochain comme vous-même, car c’est là tout l’homme. Jugez si ce précepte n’est pas aussi ancien que l’univers, jugez si je leur apportais un culte nouveau. Je ne cessais de leur dire que j’étais venu non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir… — J’étais près de le supplier de vouloir bien me dire au juste qui il était, mon guide m’avertit de n’en rien faire. Il me dit que je n’étais pas fait pour comprendre ces mystères sublimes. Je le conjurai seulement de m’apprendre en quoi consistait la vraie religion. — Ne vous l’ai-je pas déjà dit ? Aimez Dieu et votre prochain comme vous même… — Eh bien ! s’il en est ainsi, je vous prends pour mon seul maître. — Alors il me fit un signe de tête qui me remplit de consolation. La vision disparut, et la bonne conscience me resta. »

Il y a dans ce morceau comme l’impression fugitive de la vie de Jésus selon l’histoire ; j’ai voulu le signaler à la curiosité de ceux qui me lisent, et rendre en passant cet hommage au grand émancipateur ; mais ce morceau lui-même, que je n’ai pu transcrire sans faire à chaque instant des coupures, témoigne assez que la préoccupation de la polémique et du pamphlet dominait Voltaire (et peut-être les lecteurs de Voltaire) au point qu’ils ne s’en pouvaient pas détacher. Et que d’aspects d’une telle existence et d’une telle œuvre lui seraient restés fermés presque sans espoir ! Rousseau semblait pouvoir mieux comprendre Jésus, sauf à le faire quelquefois trop ressemblant à lui-même. Il semble enfin que Diderot, s’il eût pu s’astreindre à faire un livre, aurait dû faire celui-là. Le livre ne s’est pas fait ; est-ce seulement parce qu’on n’était pas assez savant ? Je crois surtout qu’on n’osait pas, car il faut peut-être plus d’audace pour étudier que pour détruire. La société, qui s’amusait du combat et du bruit, qui ne trouvait pas mauvais que du dehors on jetât des pierres dans le sanctuaire, n’aurait peut-être pas souffert qu’on prétendît y entrer comme chez soi, et en prendre possession tranquillement par la science grave et par l’histoire. Les blasphémateurs étaient des brouillons, des enfans perdus, dont le monde pour ainsi dire ne répondait pas ; mais les honnêtes gens et les esprits sérieux semblaient obligés à s’abstenir.

Il est étonnant combien longtemps un terrain qui a été sacré, même quand il n’est plus défendu, peut demeurer ainsi inaccessible. Il est vrai que l’immense bouleversement de la fin du siècle, et les principes de conservation et de restauration auxquels on revint