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en lignes blanches sur le ciel ; à l’ouest, les hauts plateaux ondulés de la Gaulonitide et de la Pérée, absolument arides et revêtus par le soleil d’une sorte d’atmosphère veloutée, forment une montagne compacte, ou pour mieux dire une longue terrasse très élevée, qui, depuis Césarée de Philippe, court indéfiniment vers le sud. »

Il fait revivre les plus petites choses, il nous fait entrer dans une synagogue, et nous la montre pendant que Jésus y prêche un jour de sabbat ; mais par-dessus tout il nous montre admirablement Jésus lui-même. On l’a dit déjà ici parfaitement bien : « Le côté humain des récits évangéliques est saisi avec une émotion et une finesse qui manquent aux travaux, d’ailleurs si recommandables, de l’école allemande. » Le portrait de Jésus, un portrait fait non pas en une fois, mais qui se reprend et s’achève de page en page, présente au plus haut degré cette finesse et cette émotion. Jésus n’est pas un docteur, il n’a ni théologie, ni philosophie qui lui appartienne ; il ne discute jamais ; il ne prêche pas ses opinions, il se prêche lui-même ; je ne crois pas qu’on puisse dire mieux. Il n’apporte pas ce qu’on appelle une religion, un culte nouveau. On chercherait vainement dans l’Evangile une pratique religieuse recommandée par Jésus, à moins qu’on n’appelle ainsi la communion du pain et du vin avec ses disciples, image de l’association des âmes qui avaient la même espérance et le même amour. Jamais on n’a été moins prêtre que ne le fut Jésus. Il n’a pas été non plus un illuminé ; il n’a pas de visions ; il ne connaît ni le buisson ardent de Moïse, ni l’ange Gabriel de Mahomet. Ce n’est plus même Jean, le Jean de l’ablution et du désert, extraordinaire et isolé. Il se place au milieu des hommes, seulement il sent Dieu dans son cœur, il se sent son fils, et il répète ce que lui dit son père. La plus haute conscience de Dieu qui ait existé au sein de l’humanité a été celle de Jésus.

C’est là aussi, c’est dans son cœur et dans sa conscience qu’il trouve le royaume de Dieu, c’est-à-dire la fin de toute iniquité et de toute misère. Il le sent venir, ou plutôt il le sent venu ; il l’annonce, et il le fait d’avance ; il le commence par cette parole même qui l’appelle. Le royaume de Dieu, étant en lui, est bientôt autour de lui. La charité, l’abnégation, l’humilité, toutes les forces et toutes les tendresses, la sainteté et la perfection, naissent de toutes ses paroles et de tous ses pas, et passent de l’idéal dans la vie même. Il n’a pas une morale qui lui soit particulière (p. 84) ; mais ce qui lui est particulier, c’est de parler comme il parle et d’être écouté comme on l’écoute. Tout a été dit dans un mot du livre des Actes : « Il a passé en bien faisant. »

C’est ce passage de Jésus à travers le monde que M. Renan a saisi et fixé dans des pages qui sont les plus belles de son livre.