Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tronomiques, elles peuvent servir à la critique de l’histoire du judaïsme, non de l’histoire de Jésus. Ce qui a soulevé les doutes, ce n’est pas véritablement Jésus, c’est le Christ, c’est-à-dire le personnage tout imaginaire qui se forma avec le temps, par le travail des esprits, sur l’idée que Jésus avait laissée. C’est le Christ de Tertullien par exemple qui ressemble au soleil, et non pas celui de l’Évangile. On n’aurait probablement pas douté de l’existence de Jésus, si la loi n’avait fait de Jésus un dieu, c’est-à-dire une image où chacun mêlait l’image divine qu’il avait déjà en lui, mystère complexe autour duquel, comme autour d’un noyau, s’amassaient d’autres mystères, et où les traditions de toute origine se trouvaient confondues. C’est la foi qui amasse les nuages, et il n’y a rien de mieux que la critique pour les dissiper.

La critique non plus ne doit pas être accusée de diminuer la grandeur des personnages appelés divins. Le divin n’a pas de mesure et par conséquent pas de grandeur véritable. Je ne puis surtout accepter la phrase célèbre de Rousseau, celle qui impatientait Voltaire : « La vie et la mort de Jésus sont d’un dieu. » Outre qu’elle est sans logique, car la vie d’un dieu, la mort d’un dieu, sont des assemblages de mots auxquels il est impossible d’attacher une idée nette, moralement même, et comme expression d’un sentiment, elle n’est encore qu’une illusion dont on découvre bientôt le vide. Ne parlons que de la mort de Jésus ; elle n’est si touchante dans le texte même de l’Évangile qu’autant que l’idée du dieu en est absente. On sait le mot de ce patient qu’on menait pendre, et qu’un moine exhortait : « Pensez, mon fils, comme Jésus s’est livré à ses bourreaux. — Ah ! mon père, il savait bien qu’il ressusciterait le troisième jour. » Parole au fond très philosophique, comme bien des saillies. Si toutes les idées de science, de puissance, d’éternité, que l’esprit humain attache à ce mot de « dieu » venaient se mêler au spectacle de cette agonie, l’effet en serait détruit aussitôt. Jésus nous touche parce qu’il est un homme et qu’il frissonne sans reculer au froid de la mort et à celui de l’abandon. Non certes, il ne sait pas qu’il ressuscitera le troisième jour, c’est-à-dire il ne sait pas qu’au lendemain de sa mort sa pensée sortira de son tombeau pour ne plus mourir. Laissé seul par ses disciples qui s’enfuient, devant ces prêtres menaçans, ce gouverneur indifférent et dur, cette foule hurlante, il ne sent plus Dieu présent et se plaint qu’il l’ait délaissé. Son cœur est abreuvé d’amertume ; c’est précisément par où il prend tout le nôtre. Nous nous irritons surtout, pour lui comme pour Socrate et tous ces martyrs de l’humanité, de ne pouvoir, au plus fort de leurs souffrances, les leur payer tout d’un coup, en leur faisant voir le bien qu’ils ont fait. Il disparaît obscurément, si obscu-