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ou bien il faut supposer une fraude pieuse et je ne sais quelle illusion qu’on a voulu faire aux spectateurs (p. 361). D’où la doctrine singulière qui permet au prophète de mentir (p. 253), à peu près comme Platon le permet aux chefs des peuples, et qui suppose que Jésus en effet a menti, altérant ainsi une figure d’ailleurs si constamment idéale dans tout le livre[1].

C’est encore le quatrième évangile qui raconte cet entretien de Jésus avec une femme samaritaine dont aucun autre récit n’a parlé, et qui se termine par ces paroles : « Nos pères, dit la femme, ont adoré sur cette montagne (de Sichem), tandis que vous autres vous dites que c’est à Jérusalem qu’il faut adorer. Et Jésus dit : Femme, crois-moi, le tempi va venir que vous n’adorerez plus le Père sur cette montagne, non plus qu’à Jérusalem. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous adorons ce que nous ne connaissons pas davantage. Il est vrai que le salut vient des Juifs, mais le temps va venir, et c’est tout à l’heure, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. » Certes rien n’est plus beau que ce langage, mais il n’a jamais été celui de Jésus. C’est là le christianisme après Paul, tout pénétré par l’esprit grec, esprit large et humain dont le judaïsme à lui seul n’aurait jamais rempli la mesure. Et qui ne sent d’ailleurs que ces mots : « vous n’adorerez plus à Jérusalem, » ne peuvent être venus à la pensée de personne qu’après que ce temple de Jérusalem, vers lequel les yeux et les cœurs des judaïsans se tournaient de tous les points du monde, a eu cessé d’exister ?

Mais qu’on se reporte maintenant au plus ancien évangile, et à la place de cette profession de foi véritablement universelle on y trouvera ce qui suit :


« Car une femme entendit parler de lui, qui avait une fille ayant en elle un esprit impur, et elle vint se jeter à ses pieds. — Cette femme était des gentils, étant Syro-Phénicienne de nation, et elle lui demanda de chasser de sa fille le démon. — Et Jésus lui dit : Laisse d’abord se rassasier les enfans, il n’est pas bien de prendre le pain des enfans et de le jeter aux chiens. — Et elle répondit : Eh bien ! Seigneur, les chiens à leur tour, sous la table, mangent les miettes des enfans. — Et il lui dit : Pour cette parole, va, le démon est sorti ce ta fille. »


Quel dialogue ! et jusque dans la charité quel mépris ! Il ne s’agit pourtant que d’avoir part au bienfait de la vertu miraculeuse de Jésus ; que serait-ce s’il était question d’être admis parmi ses élus et d’entrer dans son royaume ? Un autre évangile lui fait dire :

  1. Le miracle des noces de Cana, moins important, mais public aussi et éclatant à sa manière, ne se trouve également que dans le quatrième évangile.