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en tuiles blanches et noires, et bâties assez solidement pour résister à la pression des typhons, violens ouragans qui dévastent quelquefois les plages du golfe de Yédo[1]. Il y a quelques années, en 1859 et en 1860, beaucoup de ces maisons étaient disposées ou décorées à la manière du pays : on y voyait des nattes en bambou, des images, des curiosités japonaises, et des châssis tendus de papier pour séparer les chambres les unes des autres. Aujourd’hui tout cela a plus ou moins disparu. Les résidans étrangers aiment à s’entourer d’objets et de meubles qui leur rappellent l’Occident, et on n’aperçoit plus dans la distribution ou dans l’arrangement de leurs demeures rien qui diffère de l’aspect général des intérieurs anglais ou français.

Entre le quartier franc et les collines qui se déploient en éventail autour du port s’étend une vaste plaine ou l’on a établi à grands frais un beau champ de courses. La communauté européenne est composée presque exclusivement d’hommes jeunes et actifs, ennemis du repos et de la nonchalance orientale. Chacun d’eux possède un cheval, beaucoup même en ont deux ou trois, et aussitôt que le soleil descend à l’horizon et que la journée d’affaires est terminée, ils s’empressent de monter en selle et de parcourir les environs de Yokohama, tantôt isolément, tantôt en nombreuse cavalcade, mais allant toujours vite, et stimulant à l’envi l’ardeur de leurs petits poneys, à la tête intelligente, aux flancs maigres, à l’allure rapide. Avec de semblables habitudes, un champ de courses devait être à Yokohama une des nécessités de la vie sociale : il est tracé depuis deux ans, et on y célèbre au printemps et en automne des fêtes qui intéressent la communauté tout entière. On y engage des paris, et, grâce à l’intelligence que possèdent les Anglais des diverses branches du sport, tout s’y passe selon les règles de la noble science. Les Japonais admirent beaucoup la hardiesse et l’habileté que nous déployons dans ces passe-temps équestres, et reconnaissent de bonne grâce notre supériorité à cet égard. Eux-mêmes font usage de fort mauvaises selles qui fatiguent à la fois le cheval et le cavalier, et leur habitude est de ne pas aller autrement qu’au pas. Il y a pourtant parmi eux de bons cavaliers, ainsi que j’ai pu le remarquer lors de mes excursions à Yédo, où, comme tous les autres étrangers, j’étais continuellement escorté par une dizaine de Japonais à cheval.

Près du champ de courses, mais au-delà du canal qui entoure

  1. Les tremblemens de terre sont fréquens à Yédo, et y causent d’épouvantables désastres; celui par exemple qui eut lieu en 1855 y fit, dit-on, périr deux cent mille personnes. A Yokohama, ces cataclysmes se produisent rarement, et on n’y ressent jamais de secousses violentes.