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La plupart sont aussi adroits qu’honnêtes, et ont acquis une parfaite connaissance des articles qu’ils ont à vendre ou à acheter. Le kolzkoï est une espèce de valet de chambre. Il n’est ni aussi habile ni aussi bien dressé que le boy chinois, mais il a du zèle et de la bonne volonté, et il témoigne souvent un sincère attachement au maître qu’il sert. Le betto (groom) est un jeune serviteur obligé d’accompagner toujours son maître au dehors; il a donc mainte occasion de l’approcher, de s’entretenir avec lui ou de lui rendre de légers services : aussi le traite-t-on avec indulgence et devient-il aisément familier. Il est exact à soigner le cheval qui lui est confié; mais la qualité qu’on apprécie le plus en lui, c’est d’être bon coureur. Où va son maître, et quelle que soit l’allure qu’il prenne, le devoir du betto est de le précéder à pied, d’être à la tête du cheval. Si la course est longue, il lui arrive parfois de s’accrocher à la selle et de se faire traîner par la bête, tout en faisant de son côté de grands bonds; mais il n’agit ainsi que dans un cas d’extrême fatigue, et souvent il fait cala course preuve d’une vigueur remarquable. Il est d’ailleurs mauvais sujet, il aime à boire et à jouer, et il se querelle souvent avec ses camarades. Tous les bettos d’une même ville forment une corporation dont le chef prélève sur chacun d’eux un tribut assez élevé, à la condition de les nourrir et de les loger lorsqu’ils se trouvent sans place; ceci contribue encore à faire d’eux des domestiques très indépendans. Le momba (gardien) dort le jour et se promène la nuit dans le hong (enceinte murée qui contient la maison d’habitation et les magasins) pour empêcher des malfaiteurs de s’y introduire. Muni de deux morceaux de bois dur, il les frappe comme des battoirs l’un contre l’autre, et ce bruit, constamment renouvelé, sert à prouver au maître, si par hasard il s’éveille, que le momba est à son poste. On n’emploie les scindos (bateliers) que dans les grandes maisons de commerce ou chez les consuls et ministres étrangers, qui sont obligés, dans l’intérêt de leur service, d’avoir des canots à leur disposition. Les scîndos sont des hommes sûrs, robustes, infatigables au travail, et qui au besoin font d’excellens pilotes. Leurs gages, comme ceux des autres domestiques, varient de 2 à 3 rios (20 ou 30 francs) par mois, moyennant quoi ils pourvoient eux-mêmes à leurs frais de nourriture et d’habillement[1]. Il y a peu

  1. Chez les Japonais, les maîtres se chargent de pourvoir à la plupart des frais d’entretien de leurs domestiques; ils leur fournissent même le tabac, mais ils ne leur assurent que des gages assez faibles, comparés à ceux que leur paient les Européens. Un bon domestique au service d’un Japonais ne gagne que 30 ou 35 francs par an, une servante de 20 à 25 francs.
    Voici quelques autres chiffres que je n’ai acceptés qu’après les avoir fait vérifier par différentes personnes bien informées, et qui peuvent avoir quelque intérêt à titre de renseignemens sur les mœurs japonaises. Un laboureur, loué à l’année, nourri et logé par son maître, reçoit, avec des vêtemens d’été et d’hiver, de 30 à 60 francs argent comptant. Le prix ordinaire de la journée d’un laboureur est de 300 ceni (environ 50 centimes), nourriture comprise, ou de 400 à 600 ceni (de 70 centimes à 1 franc), nourriture non comprise. — La solde annuelle d’un simple soldat du taîkoun consiste en vingt sacs de riz et 50 francs argent comptant. Un sac de riz contient 40 siou (environ 160 livres anglaises). Avant l’arrivée des étrangers, un sac de riz valait 5 francs; aujourd’hui il vaut 10 francs. La solde d’un officier dont le grade correspond à celui d’un lieutenant de nos armées est de cinquante sacs de riz et de 600 francs argent comptant.
    Les grandes fortunes sont rares, à ce qu’il paraît, au Japon. Un homme passe pour être à son aise lorsqu’il a 1,000 francs de revenu, et pour riche lorsqu’il en a 2,000. Les daïmios (princes) et les grands marchands ont cependant des fortunes considérables. Les revenus des six princes les plus puissans du Japon sont ainsi évalués d’après les documens publiés en 1860 par le gouvernement japonais dans son almanach officiel : prince de Kanga, 1,200,000 kokf (*) de riz; — prince de Satzouma, 770,800; — prince de Schendey, 620,500; — prince de Fossokawa, 540,000; — prince de Kouroda, 520,000; — prince d’Aki, 426,000.
    (*) Un kokf de riz contient cent siou. Un siou pèse exactement 1,900 grammes. Un kokf de riz vaut environ de 20 à 25 francs. Le prince de Satzouma, le protecteur des meurtriers de M. Richardson, a donc environ 16 millions de francs de revenu. Il ne faut pas oublier qu’avec cette somme il a une nombreuse armée à entretenir.