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tisme ailé traversent les épaisseurs de ce classicisme de collège et de cette dévotion de commande… On se dit que le poète n’est qu’à moitié converti ; quelque chose on lui proteste contre la violence qui lui est faite. Lui-même, il sentait bien qu’en remaniant son poème il avait eu des ménagemens coupables qu’on ne manquerait pas de le lui reprocher. Dans son Giudizio, il demande grâce pour les beautés qu’il n’a pu se résoudre à sacrifier, il demande grâce pour le magicien naturel, qui n’est qu’une allégorie, et ne dit rien dont on ne puisse trouver l’explication dans saint Thomas ; il demande grâce pour les vertus qu’il a laissées à quelques Sarrasins, il allègue à sa décharge l’exemple de certains chroniqueurs chrétiens qui se sont permis de louer des héros musulmans. Du reste, il se soumet en toute humilité aux décisions de l’église, il désire seulement qu’on le censure avec indulgence ; il a pu faillir, mais ses intentions étaient pures. On croit entendre cette belle pénitente qui, pour expier ses péchés, consentait à ce qu’on lui arrachât les ongles, mais demandait grâce pour ses cheveux, qu’elle avait la faiblesse d’aimer encore.

D’ailleurs que de précautions il avait prises pour se faire pardonner ces emprunts qu’il s’était faits à lui-même ! Dans la première Jérusalem, c’était l’épée à la main que Renaud, confessé et absous par Pierre l’Ermite, conjurait les démons de la forêt enchantée : « Le ciel tonne, la terre tremble, les vents et les tempêtes se mettent en campagne et soufflent à la face du héros d’horribles tourbillons ; mais la main du chevalier n’en porte pas moins des coups inévitables, et toutes ces fureurs ne sont pas pour l’arrêter. Il coupe le myrte, le charme est rompu, les larves s’évanouissent. Le ciel se rassérène, les vents se calment. Lui, souriant, dit en lui-même : « vaines apparences, bien fou qui vous redoute ! » Et, retourné au camp, s’inclinant devant Godefroi : « Je suis allé, comme tu l’ordonnais, à ce bois redouté et je le vis ; je vis les enchantemens et je les vainquis. » Ricciardo s’y prend tout autrement. Il a beau brandir son épée, les fantômes redoublent leurs menaces. Alors il se dit : « Je rêve et j’extravague. Que peut mon épée ? La croix seule aura la puissance de dissiper ces prestiges. » Et à peine eut-il élevé dans l’air la croix qui était peinte sur son bouclier que tous les démons disparurent…

Le poète n’avait pu se résoudre à sacrifier Armide. Dans la Jérusalem conquise, il lui a conservé tous ses charmes ; il nous montre la nièce d’Hidraot faisant par l’ordre de son oncle la conquête de Renaud. Jusqu’à ce jour, elle est restée pure, sa seule faute est de s’être laissé initier par cet artificieux Hidraot à tous les secrets de la sorcellerie ; c’est pour servir ses desseins et la cause du